De nouvelles planètes dans la mare des astrologues
Publié en ligne le 28 juillet 2006 - Astrologie -Xena, Sedna, Quaoar et quelques autres ont récemment enrichi la liste des objets gravitant autour de notre Soleil. Ces « trans-neptuniens » (se situant au-delà de la planète Neptune) ont des tailles respectables (de 1 000 à près de 3 000 kilomètres de diamètre), et sont, pour certains, plus gros que Pluton (2 360 kilomètres de diamètre). Ces découvertes intéressent les astronomes à plus d’un titre. Mais en y regardant bien, elles auraient dû mettre en ébullition le petit monde de l’astrologie.
Les planètes et luminaires de l’astrologie
L’astrologie postule que l’avenir, le destin et les caractères des hommes sont liés aux configurations célestes. Cinq planètes étaient déjà connues depuis la plus lointaine antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Sont venues s’ajouter depuis Uranus (découverte en 1781), Neptune (1846) et Pluton (1930). Une figure céleste pour un astrologue consiste à déterminer la position de ces huit planètes, ainsi que de la Lune et du Soleil (appelés luminaires) à un moment particulier. Celle de la naissance d’un individu sera appelée « horoscope de naissance ». Le ciel est découpé de différentes façons. Le trajet apparent du soleil autour de la terre se fait sur un plan nommé plan de l’écliptique. On divise ce trajet en douze parties égales, chacune déterminant un signe du zodiaque. Le ciel en un lieu donné, à un moment donné, est lui-même divisé en « fuseaux », ce sont les 12 maisons. Et ainsi de suite. On verra les 8 planètes et les deux luminaires se déplacer dans le ciel quadrillé de la sorte. Des objets se trouvent en opposition, en conjonction, dans les mêmes « cases », etc. Vient alors la symbolique astrologique, associant à telle planète, telle position, telle conjonction, une propriété ou une influence particulière.
Illustrons par un exemple. Voici comment Élizabeth Teissier prédit le développement en France de la grippe aviaire chez l’homme, en comparant le ciel de 2006 avec celui de 1918, année choisie par l’astrologue pour situer l’épidémie de la grippe espagnole qui avait fait des millions de morts.
Saturne est la planète des épreuves, des séparations et de la mort, alors que Neptune est celle de la dissolution et de la pollution - donc, également, des virus. Par ailleurs- est-ce un hasard ? - Saturne se trouve actuellement exactement au même endroit dans le ciel qu’en février 1919 : vers 10° du Lion ! Où il reviendra en juillet 2006 !
Ce même Saturne, comme en juillet 1918, sera en dissonance avec Jupiter dès la mi-décembre 2005, puis de nouveau fin juin et fin octobre ! [...] Enfin, last but not least, en août 1918, on observait une conjonction exacte entre Jupiter et Pluton, la planète du pourrissement, des fermentations - et, avec Saturne, de la mort. Or, il faut hélas observer que ce même cycle est en dissonance dès début décembre, puis fin mai et fin juillet.
Notez bien le rôle de Pluton, « la planète du pourrissement, des fermentations », nous y reviendrons.
Au vu de ces nombreux parallèles, il semble qu’il y ait bien, objectivement et astralement parlant, matière à nourrir quelque inquiétude en ce qui concerne notre avenir proche. D’autant que Neptune, planète des virus, se mêle à ce funeste concert, notamment à travers sa dissonance avec Jupiter - planète qui met le feu aux poudres lorsqu’elle est dissonante. Ce sera le cas fin janvier, à la mi-mars et fin septembre. Mais dès la première semaine de novembre, les nombreuses dissonances de Neptune (autour du 7) semblent marquer une étape dans la progression de ce fléau.
C’est donc Saturne, Neptune, Jupiter et Pluton qui, de par leurs positions respectives dans le ciel et leurs « propriétés astrologiques », vont conduire Élizabeth Teissier à formuler sa prédiction.
La découverte récente de nouveaux objets gravitant autour du soleil met-elle à mal ce genre de prédiction, et plus généralement les théories astrologiques ?
Paradoxe astrologique
Le paradoxe est en fait assez simple. Soit, pour une raison ou une autre, l’astrologie considère que ces nouveaux objets n’ont pas d’influence. Dans ce cas, on le verra, c’est tout l’édifice qui se voit invalidé. Soit l’astrologie intègre Sedna et ses consœurs, mais alors, de facto, ce qui a été prédit avant s’en trouve invalidé. Ainsi d’ailleurs que tout ce qui est astrologiquement élaboré aujourd’hui, car l’influence des nouvelles planètes qui ne manqueront pas d’être découvertes dans le futur n’aura pas été prise en compte.
En octobre 2003, Élizabeth Teissier annonçait sur son site la sortie de son livre de prédictions Votre horoscope - L’année de Jupiter et de Chiron :
« Votre horoscope 2004 est une année rare, où Jupiter, synonyme de joie de vivre et de prospérité, s’alliera harmonieusement à Chiron, cette nouvelle planète qui symbolise la guérison et la quête spirituelle ».
Le lecteur se reportera à la « brève » rédigée par Agnès Lenoire (SPS n° 260, page 42) où sont analysées les contradictions de la prétention de l’astrologue à ériger l’astéroïde Chiron au rang de planète ayant une influence dans sa théorie et ses prédictions.
Ainsi, Élizabeth Teissier accorde un rôle important à Pluton dans l’explication de la grippe espagnole du début du siècle. Or cette planète n’a été découverte qu’en 1930. Dès lors, si l’on fait confiance à la « théorie des astres » de notre astrologue moderne, sans Pluton et ses pouvoirs maléfiques (« la planète du pourrissement et des fermentations »), les astrologues de l’époque étaient dans l’incapacité de prévoir l’épidémie.
Mais Élizabeth Teissier et tous ses collègues ne sont-ils pas aujourd’hui exactement dans la même position ? Les nouveaux objets découverts récemment, ceux qui le seront dans le futur, ne seront-ils pas les éléments clés que les astrologues retiendront pour analyser rétrospectivement l’année 2006, tout comme Élizabeth Teissier utilise Pluton pour l’année 1918 ?
Est-il possible de se sortir de ce paradoxe ?
Certains astrologues ne se posent pas de question. Bienvenue à Sedna et à toutes les nouvelles planètes que l’on pourra découvrir (voir encadré).
Mais d’autres, plus soucieux d’une certaine logique interne ne franchissent pas encore le pas. Examinons les arguments, réels ou possibles, qu’un astrologue voulant défendre sa théorie pourrait avancer.
« Il ne s’agit pas de planètes »
Les astronomes en discutent. Sedna, Xena, Quaoar et les autres sont-elles réellement des planètes ? Et Pluton ? Pluton, ainsi que ses voisines découvertes récemment, a une composition nettement différente des autres « planètes » du système solaire. Sa taille est également relativement petite. La discussion se poursuit entre astronomes pour définir ce qu’on va finalement appeler une planète. Ou, plus exactement, pour définir les bonnes caractéristiques permettant une classification logique et utile des objets célestes gravitant autour de notre Soleil. Différentes définitions sont évoquées. Par exemple, « un astre sphérique d’une masse suffisante, supérieure à celle de tous les corps à proximité, les “gouvernant” ainsi par gravité ». Alors, la Lune (satellite de la Terre), Titan (satellite de Saturne) n’en sont pas. Gênant pour un astrologue de renier la Lune. Pluton aussi devrait être écartée, ainsi que tous les objets de la ceinture de Kuiper, ou que Cérès et Vesta, astéroïdes sphériques entre Mars et Jupiter découverts au tout début du XIXe siècle. Une astrologie sans Lune ni Pluton ? Difficilement imaginable.
Définir une planète à partir de la nature des corps, de leur composition ? Un groupe de travail de l’Union astronomique internationale (UAI) suggère une répartition en quatre catégories : les planètes telluriques, les géantes gazeuses (comme Jupiter), les mineures (les astéroïdes, comme Cérès et Vesta) et les naines glacées (avec Pluton et Xéna par exemple). Mais aucune de ces catégories ne correspond aux astres retenus par les astrologues.
Pour certains astrologues, tous les objets astronomiques (ou non) sont bons à prendre 1 : « L’Astrologie tient compte des 10 planètes autres que la Terre, à savoir le Soleil, la Lune (ces deux astres sont considérés comme des planètes en Astrologie), Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton. Elle tient compte également d’astres mineurs (la lune noire, les astéroïdes, les noeuds lunaires) ». Dans le même article, Sedna est intégrée comme une 11e planète, et des objets très variés viennent encore enrichir la palette astrologique : Cérès, Chiron, Vesta, Junon, Pallas, les Nœuds Lunaires Nord et Sud, Dionysos, appelé encore le Soleil noir, point d’équilibre du Soleil ( ? !), sans oublier Proserpine, « astre non encore découvert » (on n’est jamais trop prudent), ni Vulcain, « analogique de Proserpine, [qui] serait le complémentaire mais l’inverse de Mercure » ( ? !). Mais en « prenant tout », de l’existant, du « à découvrir », des objets connus des astronomes, des objets plus « exotiques », on n’échappe pas pour autant au paradoxe. La liste ne peut jamais être fixe, et au nom de quoi ce qu’on « connaît » aujourd’hui (incluant même, si l’on veut, les Proserpine et autres Vulcains) serait suffisant pour obtenir des prédictions valides, le « reste » à venir n’étant que quantité négligeable ?
« Trop lointains »
Trop lointaines, les nouvelles venues, leurs influences astrologiques seraient négligeables. Ou, tout du moins, n’invalideraient pas les prédictions passées, faites sans elles, mais permettraient simplement de rendre celles d’aujourd’hui plus précises. Cet argument de bon sens, s’il était adopté, risquerait de faire écrouler tout l’édifice astrologique. Il reviendrait en effet à reconnaître une action dépendant de la distance, à l’image de l’influence des astres sur les marées. Le faire, ce serait s’obliger, par exemple, à prendre en compte la distance très variable de la planète Mars à la Terre (environ de 4 à 20 minutes lumière). Aucun thème astral ne prend ce facteur en compte, aucune des nombreuses écoles astrologiques ne le fait. Alors, pourquoi certaines planètes devraient-elles bénéficier d’un statut dérogatoire ? Le paradoxe reste entier.
« Trop petits »
Là encore, aucun astrologue ne se risque sur ce terrain. Pluton fait 2 360 kilomètres de diamètre. La Lune n’en fait pas beaucoup plus (3 476 kilomètres). Sedna est un peu plus petite (entre 1 100 et 1 800 kilomètres). Une « limite astrologique » fixée à 2 359 kilomètres de diamètre permettrait de conserver Pluton et d’écarter les indésirables... mais le risque est grand de découvrir de nouveaux objets dans la ceinture de Kuiper d’un diamètre plus important... Xena semble d’ailleurs s’avérer plus grande que Pluton. Et surtout, plusieurs satellites de Jupiter sont plus gros que notre Lune (Io, 2 Ganymède ou Callisto). Alors, une astrologie sans Sedna ni Xena, mais avec Io, Callisto ou Ganymède ? Tout serait à reprendre.
« Presque immobiles vues de la terre »
C’est le seul argument que nous ayons réellement trouvé dans la littérature astrologique 3 :
« Et pour l’astrologue ? [...] Disons d’emblée que la période de révolution de Sedna (plus de 10 000 ans) nous semble difficilement pouvoir rythmer une vie humaine. »
Pourtant, dans la même page, on peut lire que « au XXe siècle, Sedna était présent dans le Signe du Bélier (de 0 à 30 degrés de longitude écliptique) puis en Taureau (de 30 à 60 degrés de longitude écliptique) ». Pas si négligeable que ça. Pourquoi, si Sedna a traversé deux signes au XXe siècle, son influence ne serait-elle pas à prendre en compte ? C’est exactement l’échelle de temps qui nous sépare de la grippe espagnole. Si la prédiction ne se réalise pas, l’astrologue de TV-magazine pourra toujours rendre Sedna responsable de son erreur.
Ajoutons que, pour les astrologues, il n’y a pas que le signe qui compte : maisons et ascendants jouent un rôle important. Sans oublier les conjonctions ou oppositions. Et là, même une Sedna immobile aurait des positions variables face aux autres planètes.
Avant de prétendre à scientificité, l’astrologie a déjà un sérieux défi de cohérence interne à relever.
2 Io est à peine plus grande que la Lune. On les considère d’ailleurs souvent comme équivalentes et on met en avant cette « proximité » de taille pour faire comprendre combien la Lune est « trop grande » pour la petite Terre.
Terre : 12 756 km, Lune 3 476 km, Jupiter : 142 984 km, Io 3 642 km.
3 http://www.astrologue.org/sedna.html [site indisponible, accessible sur archive.org — 30 juillet 2019].
Publié dans le n° 287 - Hors-série de la revue
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L' auteur
Jean-Paul Krivine
Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
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