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Comment le professeur Condon fut victime du complot ourdi par les fanatiques des UFOS

Publié en ligne le 7 juillet 2004 - OVNI et extra-terrestres -
SPS n° 162, juillet-août 1996

Il y a tout juste vingt ans, l’université du Colorado, à Boulder, se lançait dans une étude de caractère scientifique sur les apparitions d’objets volants non identifiés (les UFOs, selon le sigle anglais). Commanditée par l’US Air Force avec la bénédiction du département de la défense de Washington, l’entreprise souleva dès le début des polémiques d’une étonnante violence. Le professeur Condon, président de la commission d’enquête, et son adjoint Low se virent accusés de tramer un complot pour égarer l’opinion publique. Au sein même de la commission, des dissentiments entraînèrent le limogeage de plusieurs de ses membres. Avant même que le rapport de la commission ait été publié, son objectivité fut contestée et la sincérité de ses rédacteurs mise en doute, de la façon la plus injurieuse.

Après tant d’années écoulées - le rapport a paru au début de 1969 - on pouvait croire que les polémiques s’étaient définitivement apaisées. Edward Condon et Robert Low ont tous deux quitté ce monde. Leur principal adversaire, un spécialiste de la physique de l’atmosphère nommé James McDonald, les a précédés en se donnant lui-même la mort en 1971. Or il se trouve qu’un étudiant de l’université de Hawaï, Paul McCarthy, qui sympathisait avec McDonald, décida de servir sa mémoire en consacrant une thèse de doctorat au rôle joué par McDonald dans la controverse des anti - et pro - UFOs. La veuve lui ouvrit les archives personnelles du disparu. Et plusieurs passages de la thèse de McCarthy, sans que l’auteur l’ait voulu, apportent des révélations sur les dessous de la campagne orchestrée par McDonald contre la commission Condon. Les pièces de ce vrai puzzle de roman policier ont été rassemblées par un ingénieur de l’aéronautique et des technologies spatiales, Philip J. Klass, auteur de plusieurs ouvrages sur les UFOs. Ses conclusions, qui viennent de paraître dans le Skeptical Inquirer, sont formelles : il y a bien eu un complot, mais loin d’en être les auteurs, Condon et Low en furent les victimes.

Le problème des soucoupes volantes a passionné bien des gens en France, mais aux États-Unis il avait pris une dimension toute autre : il était devenu une affaire politique. Parmi les gens qui croyaient à la réalité de ces objets, certains penchaient pour l’hypothèse de vaisseaux montés par des extraterrestres. D’autres étaient obsédés par l’idée qu’il s’agissait d’une arme secrète, expérimentée par les Soviétiques au-dessus du territoire américain. Ayant étudié un certain nombre de témoignages, l’US Air Force avait fait savoir que rien, dans les cas examinés, ne permettait de croire à l’existence d’une quelconque menace pour la sécurité des États-Unis. Elle fut accusée de cacher la vérité. Le président Truman tient à démentir lui-même les élucubrations alarmistes développées par certains médias. Son intervention ne fit qu’encourager la thèse paranoïaque d’une "conspiration du silence".

Quant aux militaires, excédés des accusations qui pleuvaient sur eux, ils résolurent de se débarrasser de l’affaire des soucoupes volantes en la refilant à un organisme universitaire, dont le public américain ne mettrait pas en doute l’objectivité. En juin 1966, un professeur de l’université d’Arizona, James McDonald, offre ses services. Mais il s’est fait connaître comme un partisan convaincu de la thèse des vaisseaux extraterrestres, ce qui pourrait fausser son impartialité. Par chance une autre candidature se manifeste : celle de l’université du Colorado, en la personne d’un de ses membres les plus éminents, le professeur Edward Condon, ancien collaborateur du projet Manhattan (d’où est sortie la bombe d’Hiroshima), spécialiste de la physique des particules, membre de l’Académie nationale des sciences.

Le contrat signé en octobre 1966 entre l’USAF (US Air Force) et l’université du Colorado spécifiait que l’étude serait menée dans des conditions de stricte objectivité par des chercheurs qui, autant que possible, n’auraient pas manifesté de position préconçue sur le problème des UFOs. McDonald et Allan Hynek (un des rares astronomes qui militaient pour les extraterrestres) furent à plusieurs reprises invités à venir exposer leurs vues devant la commission Condon, mais malgré leur insistance, ils ne purent participer directement à ses travaux. Quant à l’ingénieur Philip Klass et à l’astronome Menzel, qui naguère avaient à plusieurs reprises exprimé publiquement leur scepticisme quant aux UFOs, on ne les invita même pas.

Malheureusement, Condon et Low commirent l’imprudence de recruter un psychologue nommé David Saunders pour faire partie de l’état-major chargé de sélectionner, parmi les milliers de récits d’apparitions de soucoupes volantes, ceux qui feraient l’objet d’une étude détaillée. Or Saunders - il l’avoua plus tard - était un passionné des soucoupes volantes et il était en contact avec le NICAP, la principale association de fanatiques des UFOs. Il était convaincu que le gouvernement étouffait la vérité. Il trouva bientôt un allié dans la commission en la personne d’une nouvelle recrue, l’ingénieur électricien Norman Levine, lui-même converti aux soucoupes volantes sous l’influence de McDonald, et persuadé qu’il s’agissait de vaisseaux venus d’autres planètes.

Les récits d’apparitions étaient recueillis par quelques dizaines d’enquêteurs répartis à travers les États-Unis, pour la plupart membres du NICAP : on pouvait compter sur leur vigilance. Levine fut chargé de coordonner ces rapports. Aux postes-clés qu’ils avaient réussi à occuper, Saunders et Levine pouvaient influer sur le choix des rapports soumis à l’étude approfondie des scientifiques. La commission écarta cependant deux de leurs suggestions. La première était de publier au fur et à mesure les travaux en cours, sans attendre le rapport final commandé par l’USAF. L’autre prévoyait l’ouverture d’un débat public sur les problèmes qui se poseraient à l’humanité "dans le cas où les recherches menées par la commission ou d’autres recherches ultérieures prouveraient de façon décisive les visites d’extraterrestres".

La première suggestion revenait à rendre publics les éléments d’un travail commandé par les militaires, avant même que ces derniers l’eussent reçu. La seconde anticipait sur ce que seraient les conclusions de l’étude. La fin de non-recevoir opposée par les responsables de la commission marqua le début d’une série d’événements dont la clé nous est donnée par les documents contenus dans la thèse de McCarthy. Ils révèlent que non seulement Levine et Saunders, mais aussi la secrétaire administrative de la commission, Mary Lou Armstrong, étaient en fait les agents de McDonald au sein de la commission. Après l’échec de leur manoeuvre, McDonald craignit que le rapport final rejette la thèse des visites d’extraterrestres, ce qui ruinerait son espoir de faire financer par les autorités une nouvelle enquête dont lui, McDonald, serait cette fois officiellement chargé.

La meilleure parade était de ruiner à l’avance la crédibilité du rapport Condon. Les dispositions sont arrêtées au cours d’une rencontre organisée secrètement à Denver. Les participants sont Saunders, Levine, Mary Lou Armstrong, Hynek et McDonald. La première arme de la campagne de diffamation serait un mémorandum rédigé par Low à une époque où les universitaires de Boulder discutaient encore des termes du contrat qui les lierait à l’Air Force. Low insistait sur la nécessité de trouver une formulation assez habile pour que l’opinion ne mette pas en doute l’objectivité des universitaires et pour qu’en même temps ces derniers ne risquent pas de se ridiculiser auprès de la communauté scientifique en se consacrant à un long travail sur les soucoupes volantes (que peu de scientifiques, même aux USA, prenaient au sérieux). Low parlait d’un trick, c’est-à-dire, dans le sens que les Anglais donnent souvent à ce mot, d’une solution ingénieuse, d’une "astuce". Bien qu’Américain, Low avait fait ses études à Oxford et son langage était émaillé d’expressions british. Mais il se trouve qu’en anglo- américain, le mot peut évoquer l’idée de fraude, de procédé malhonnête. Avec une parfaite mauvaise foi, la campagne fut engagée là-dessus, à coup de conférences et d’articles de presse. Low et Condon étaient accusés de vouloir tromper le public. C’était d’autant plus stupide que le mémorandum, document personnel rédigé avant la signature du contrat, n’engageait même pas la commission Condon.

Convoqués par ce dernier, Saunders et Levine reconnurent avoir communiqué à McDonald une copie du document (qui leur avait probablement été procurée par Mary Lou Armstrong). Ils furent immédiatement mis à la porte de la commission peu après, Mary Lou Armstrong donna sa démission.

Au Congrès, un représentant de l’Indiana, Edward Roush, accusa Condon de gaspiller les fonds publics pour une enquête truquée. Il exigea que l’Air Force soit dessaisie du problème des UFOs et que celui-ci soit traité directement par le Congrès.

Grâce aux documents publiés par McCarthy, on sait maintenant que l’intervention de Roush entrait dans le plan monté par McDonald. Une lettre de McDonald à Roush, datée de mars 1967, demande à ce dernier de provoquer des auditions de témoins (hearings) devant une commission du Congrès sur le problème des UFOs. Suivent plusieurs lettres insistantes. Fin 1967, Roush répond que tout en approuvant ce projet, il estime préférable d’attendre que la commission Condon ait déposé son rapport. Sans doute finit-il par se laisser persuader, puisqu’en mai il prend la parole devant la Chambre des Représentants. Deux mois plus tard, il obtient que la commission de l’Aéronautique de la Chambre des Représentants (dont il est membre) tienne un "symposium" d’une journée sur les UFOs. Ce terme de symposium avait été préféré à celui de hearing, qui implique un débat contradictoire, car sur les six scientifiques invités à témoigner, cinq (dont McDonald et Hynek) étaient des partisans convaincus des soucoupes volantes. Le sixième, l’astronome Carl Sagan, penchait alors plutôt dans le même sens. Depuis lors il s’est ressaisi. A regret peut-être : son imagination débordante devait prendre plaisir à l’idée d’une rencontre avec les E.T. Mais homme de science, il sait s’incliner devant les preuves. Il a même rejoint le CSICOP, le comité qui édite le Skeptical Inquirer. Nul ne sait jusqu’où serait allée la campagne entamée dans les milieux politiques, si Roush n’avait pas perdu son siège de représentant lors des élections de 1968. On le consola en lui offrant un fauteuil au conseil de direction du NICAP.

Le rapport remis à l’USAF fut rendu public au début de 1969. Durant les deux années qui lui restaient à vivre, McDonald continua d’accuser l’université du Colorado d’avoir arrangé son rapport de manière à aider l’Air Force à dissimuler aux Américains la menace d’une invasion des extraterrestres. Toutefois, quand il donnait une conférence devant des scientifiques, il ne faisait pas allusion au mémorandum Low : devant un tel auditoire l’argument n’aurait pas été efficace et aurait même risqué de faire mauvais effet. Mais le dénigrement systématique du rapport Condon a laissé des traces durables. Les sceptiques les plus résolus quant à la réalité des soucoupes volantes hésitent à s’appuyer sans réserve sur un document dont la rigueur scientifique a été si âprement contestée. En fait, parmi ceux qui le citent, de quelque parti qu’ils se réclament, bien peu ont vraiment lu ce document qui, dans l’édition Bantam, occupe un bon millier de pages d’un texte serré. Chez nous il n’a même pas eu les honneurs d’une traduction, alors que nombre de livres américains sur les UFOS (dont ceux de Hynek) sont édités en France. Qui l’ouvre aujourd’hui ne peut manquer d’être rétrospectivement surpris par la violence des haines qu’il a suscitées. Le rapport conclut simplement que la commission n’a trouvé "aucune preuve que la Terre ait jamais été visitée par des équipages extraterrestres" et que "environ 90 % des objets volants signalés ont, selon toute probabilité, un rapport avec des objets ordinaires" tels qu’avions, satellites, ballons, lumières extérieures, phares, nuages ou autres phénomènes naturels. Les hypothèses selon lesquelles le gouvernement américain aurait intercepté des engins extraterrestres et garderait secrètement leurs équipages en captivité sont qualifiées de "stupides" et les allégations sur une prétendue tentative gouvernementale d’étouffer l’affaire considérée comme "ne reposant sur aucune base réelle".

Sur la cinquantaine d’observations sélectionnées pour l’étude détaillée, quelques-unes n’ont pu être tirées au clair ; ce que le rapport signale. Preuve supplémentaire de l’honnêteté de Condon, après le fait qu’il a accueilli sans méfiance des hommes comme Saunders et Levine, qui se sont comportés comme des "taupes" de connivence avec McDonald et ont certainement pesé sur le choix des cas à étudier. Philip Klass a repris les cas inexpliqués et en dépit des difficultés résultant du temps écoulé il en a élucidé plusieurs, notamment en découvrant qu’un prétendu témoin avait dupé un des enquêteurs de la commission, un jeune astronome dont l’esprit critique n’était pas suffisamment éprouvé.

Commentant plus tard les injures dont il fut abreuvé, Condon a écrit ces lignes désabusées : "si j’avais su jusqu’où les croyants aux UFOs pouvaient pousser leur engagement affectif et à quelles extrémités les porterait leur foi, je ne me serais sûrement jamais lancé dans cette étude".