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Ce n’était qu’un canular du Canard…

Publié en ligne le 11 février 2010 - Esprit critique et zététique -

Bernard-Henri Lévy, le plus emblématique de nos ex-nouveaux philosophes nationaux, si souvent arbitre du bien et du mal auprès de ses contemporains ou de l’Histoire, se rend victime à son tour d’un canular semblable à celui que nous racontions dans cette rubrique, il y a quelque temps, «  Ce n’était qu’une blague d’étudiant… », SPS n° 288, octobre 2009. Nous commentions alors l’erreur commise par de nombreux journaux pour n’avoir pas vérifié leurs sources lors de l’hommage adressé après sa mort au musicien Maurice Jarre. Bernard-Henri Lévy, dans le livre qu’il s’apprête à publier le 10 février 2010, De la guerre en philosophie (Grasset), se prend à son tour les pieds dans le tapis de son outrecuidance, en entreprenant de critiquer sévèrement Emmanuel Kant, « ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept »… Pour ce faire, comme l’a révélé Aude Lancelin, lundi 8 février, sur BibliObs.com, il s’appuie ni plus, ni moins, sur le livre intitulé La vie sexuelle d’Emmanuel Kant, paru en 2004 aux éditions des Mille et une Nuits, d’un certain Jean-Baptiste Botul… qui n’a jamais existé. BHL évoque les recherches sur Kant de ce pseudo-philosophe, qui aurait définitivement démontré, dans une série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay, que Kant, leur héros, était « un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ». Une fois son erreur découverte par les médias, BHL, beau joueur, salue cette géniale invention dans un texte à Libération, Culture, 08/02/2010 : « Un très brillant et très crédible canular sorti du cerveau farceur d’un journaliste du Canard Enchaîné, au demeurant bon philosophe, Frédéric Pagès. » S’il le dit…

« Et, ajoute-t-il, je m’y suis donc laissé prendre comme s’y sont laissé prendre, avant moi, les critiques qui l’ont recensé au moment de sa sortie. »

Si vous attendiez de BHL une remise en question si minime soit-elle des méthodes de travail « béhachéliennes », vous allez être déçu. Bernard-Henri persiste. Il dit avoir commenté ce livre dans une conférence devant les Normaliens de la rue d’Ulm, le 6 avril dernier. Et, ajoute-t-il, comme si l’un justifiait l’autre : « … je l’évoque donc, à nouveau, dans De la guerre en philosophie, qui est le fruit de cette conférence. ». Depuis le 6 avril, il faut croire que ses méthodes de travail n’ont pas empêché notre philosophe de dormir et que depuis 2004, la vérification de ses sources ne lui a pas pris trop de temps. Pour donner quelques échantillons de la prose du dénommé Botul, à laquelle BHL a adhéré, citons par exemple ceci : « la sexualité de Kant est la voie royale qui nous mène à la compréhension du kantisme », qui a un vague relent de freudisme (« Le rêve est la voie royale qui mène à l’inconscient » Freud) ou bien encore les trois mots qui obsèderaient l’auteur de La Critique de la raison pure, « Sueur, salive, sperme », à tel point qu’il ne peut pas les écrire !

Peut-être se souvient-on qu’en 1979, à propos du livre, Le Testament de Dieu, de Bernard-Henri Lévy, l’historien Pierre Vidal-Naquet avait écrit : « Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur ce livre pour s’apercevoir que, loin d’être un ouvrage majeur de philosophie politique, il fourmille littéralement d’erreurs grossières, d’à-peu-près, de citations fausses, ou d’affirmations délirantes » 1. BHL, dans son droit de réponse, s’en était défendu avec angélisme. En 1981, Raymond Aron n’avait pas non plus mâché ses mots au sujet de l’essai 2 dont Bernard-Henri Lévy est le plus fier, au point de le citer sans arrêt : « … le livre de Bernard-Henri Lévy présente quelques-uns des défauts qui m’horripilent : la boursouflure du style, la prétention à trancher des mérites et des démérites des vivants et des morts, l’ambition de rappeler à un peuple amnésique la part engloutie de son passé, les citations détachées de leur contexte et interprétées arbitrairement »

Mais loin de se laisser abattre par les coups de plume de ses critiques, BHL relève le défi pour Libération : « Du coup, une seule chose à dire – et de bon cœur. Salut l’artiste. Chapeau pour ce Kant inventé mais plus vrai que nature et dont le portrait, qu’il soit donc signé Botul, Pagès ou Tartempion, me semble toujours aussi en accord avec mon idée d’un Kant (ou, en la circonstance, d’un Althusser) tourmenté par des démons moins conceptuels qu’il y paraît. »

BHL n’a vraiment pas besoin de tarte à la crème pour nous faire rire ! 3

Publié dans le n° 290 de la revue


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L' auteur

Brigitte Axelrad

Professeur honoraire de philosophie et psychosociologie. Membre du comité de rédaction de Science et (...)

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