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Vous avez dit démolition contrôlée ?

Publié en ligne le 16 septembre 2011 - Attentats du 11 septembre -
Entretien avec Jean-Pierre Muzeau - Propos recueillis par Jérôme Quirant

Des thèses alternatives circulent à propos de l’effondrement des tours du World Trade Center. Il est notamment affirmé qu’elles ont été victimes d’une démolition contrôlée à l’explosif. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Pierre Muzeau : Cette thèse est tellement peu probable qu’elle en est ridicule. Il est vrai que toutes les structures, y compris celles réalisées en acier, peuvent être démolies à l’explosif, bien que, pour les matériaux métalliques, ce ne soit pas le procédé le mieux adapté. On préfère en effet le démontage ou les découpages partiels successifs afin de pouvoir récupérer, recycler et donc valoriser les différents éléments.

Examinons néanmoins cette hypothèse d’une démolition contrôlée à l’explosif du WTC et donc, bien sûr, sans nous intéresser à un quelconque traitement ultérieur des déchets. Comme l’acier possède une très grande ductilité (l’allongement avant rupture doit être d’au moins 15 % pour pouvoir être utilisé dans le domaine de la construction), la démolition à l’explosif des ouvrages métalliques s’adresse essentiellement aux structures de grandes portées, comme des ponts ou de grandes halles industrielles par exemple, plutôt qu’à des bâtiments de grande hauteur, c’est-à-dire à des structures de typologie générale horizontale et non pas verticale. En effet, lorsque des barres bien choisies sont « coupées » localement sous l’effet d’une explosion, le schéma statique de la structure est brutalement modifié et c’est l’action de la gravité qui poursuit l’œuvre de destruction : les parties privées de certaines liaisons, internes ou externes, sont libérées et entraînées vers le sol, soit verticalement soit par basculement. Or, si cette action est évidente pour un pont, elle ne l’est nullement pour un bâtiment de grande hauteur comportant une grande densité de partitions internes et notamment un noyau central, ces éléments constituant une gêne évidente à la progression rapide des « morceaux » vers le sol. Rappelons d’ail-

Pour ce qui me concerne, je considère que rien ne vient contredire ni même affaiblir la version officielle de la ruine des tours jumelles. On peut néanmoins admettre qu’une démolition à l’explosif aurait pu être orchestrée, mais la complexité de l’ouvrage aurait cependant rendu cette opération extrêmement difficile et aléatoire. Il aurait en effet fallu disposer un très grand nombre de charges explosives dans des endroits stratégiques et sur plusieurs niveaux, veiller à supprimer simultanément un nombre suffisant de dispositifs de stabilité (contreventements par exemple) pour entraî- ner la ruine par flambement (voir encadré) des poteaux dont la longueur critique se serait trouvée brutalement augmentée.

Quelques notions de mécanique

Le contreventement permet de stabiliser une structure vis-à-vis des efforts latéraux. Il est essentiel dans le cas d’une structure poutres-poteaux.

Le flambement peut se produire sur des éléments comprimés fortement élancés (de grande longueur pour une petite section), situation très courante avec les ouvrages en acier. C’est un phénomène d’instabilité très dangereux car il survient toujours brutalement. En première approche, la résistance au flambement d’un poteau est inversement proportionnelle au carré de sa longueur. En conséquence, si des poteaux perdent leurs éléments stabilisateurs dans le sens latéral, leur « longueur de flambement » augmente et leur capacité portante diminue fortement.

Les lois de similitude sont un ensemble de conditions imposées à une maquette pour que les résultats obtenus au cours des essais soient transposables à l’ouvrage en vraie grandeur. Elles sont bien sûr d’ordre géométrique mais aussi mécanique. En d’autres termes, si la réalisation d’un modèle réduit se limite souvent à une réduction plus ou moins grande des caractéristiques géométriques de l’ouvrage réel, il faut en analyser les conséquences au plan cinématique et dynamique. À titre d’exemple, selon les matériaux utilisés, l’intensité du chargement à appliquer à la maquette n’est pas seulement affectée par le facteur d’échelle géométrique du modèle mais également par la nature même des matériaux utilisés (résistance, ductilité, module d’élasticité, coefficient de frottement, etc.) et il en est de même pour la vitesse d’application du chargement. Une maquette au 1/1000e n’a aucune chance de réagir comme l’ouvrage réel sous l’action de charges appliquées 1000 fois plus faibles.

Ce travail délicat demande nécessairement une équipe de spécialistes pour repérer les points clés, pour poser les explosifs, et ne peut se faire en quelques jours. Les va-et-vient occasionnés, même s’ils avaient été négligés par les personnes travaillant dans les tours, auraient été signalés après coup par les survivants.

Enfin, il ne faut pas se fier aux apparences. Si l’allure de la phase finale de la ruine du WTC ressemble un peu à la démolition d’un bâtiment en béton par explosif, cela est tout simplement dû au fait que, dans les deux cas, la méthodologie consiste à affaiblir un ou plusieurs étages de la structure et laisser le poids de la partie supérieure entraîner l’effondrement de l’ensemble. Cela revient donc à saper une partie de l’ouvrage et à compter sur la gravité pour finir le travail. C’est bien ce que les avions ont réalisé en sapant un grand nombre de poteaux porteurs extérieurs et une partie du noyau central.

La solution la plus probable est donc bien la version officielle. Et nous savons tous qu’il est malheureusement plus facile de propager une fausse rumeur que de démontrer qu’elle est erronée.

Beaucoup d’architectes ou d’ingénieurs (1 500 à ce jour) de tous horizons ont signé une pétition pour demander une nouvelle enquête...

J.-P.M. : J’assure, en dernière année de formation d’ingénieur, un enseignement de comportement au feu des matériaux et des structures du Génie Civil et, suite au choc que l’attentat a créé dans les esprits, mes élèves m’ont demandé, dès la rentrée universitaire 2001, d’inclure dans le programme l’analyse de la ruine du WTC. C’est donc un bilan de plus de 10 années de travail collectif sur le sujet que je peux faire ici. Si, la première année, nous n’avons pu nous appuyer que sur des informations très « grand public », fondées sur l’analyse des différents articles que nous avons pu trouver dans différents médias, au fur et à mesure que le temps passait, notre base documentaire s’est considérablement étoffée, les rapports des commissions d’enquêtes officielles ayant été diffusés et les spécialistes ayant produit des articles scientifiques de fond sur le sujet. D’année en année, mes étudiants ont donc analysé ces données et rédigé des synthèses, dont certaines ont d’ailleurs été diffusées dans le cadre de l’APK 1. À aucun moment le doute ne s’était installé dans leurs esprits.

Les théories de la démolition contrôlée ayant de plus en plus d’écho, pour la première fois l’année dernière, ils ont souhaité aborder ces « théories » alternatives avec toute la rigueur nécessaire mais aussi tout l’enthousiasme de la jeunesse. Ils se sont documentés sur les différents aspects évoqués et ont essayé d’en tirer des conclusions objectives. Rien ne vient sérieusement contredire la version officielle. En revanche, la plupart des hypothèses avancées par ceux qui se rallient à ces thèses sont pour le moins fantaisistes car elles ne respectent pas les règles de base de la mécanique ou les lois de similitude qui sont pourtant fondamentales pour ce genre de démonstration. Encore faut-il savoir qu’elles existent, ce qui ne semble pas le cas des détracteurs 2.

C’est sous l’impulsion de Richard Gage, un architecte américain, que près de 1 500 architectes ou ingénieurs se sont en effet alliés pour signer une pétition et demander la réouverture de l’enquête. Ils sont présentés comme des spécialistes, mais pour beaucoup, ils n’ont pas de formation en calcul de structure ; des architectes d’intérieur participent même au mouvement.

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Faut-il leur accorder une crédibilité supérieure à celle qu’on accorderait à un spécialiste des structures, pour le cas qui nous intéresse ici ? Peut-on faire confiance à des ingénieurs informaticiens, électroniciens, hydrauliciens, spécialistes en aéronautique ou en automobile, pour analyser les phénomènes très complexes qui sont apparus suite au choc des avions sur un bâtiment ?

Notons au passage qu’aux États-Unis, les formations d’ingénieurs sont beaucoup moins généralistes qu’elles ne le sont en France, ce qui ne contribue pas à donner aux diplômés la capacité d’analyser en profondeur et avec la rigueur nécessaire les phénomènes très spécifiques qui se sont développés à la suite des impacts des avions.

De plus, si je ne doute pas que de nombreux architectes possèdent les connaissances nécessaires à la conception générale, au bon fonctionnement d’un immeuble de grande hauteur, ainsi qu’à l’organisation des espaces engendrés, nous savons qu’ils ne possèdent pas toutes les connaissances nécessaires au calcul du fonctionnement mécanique détaillé de la structure porteuse de tels bâtiments, et qu’ils doivent toujours s’associer à de solides bureaux d’ingénierie pour mener à bien de tels projets.

Pour ce qui me concerne, je préfère faire confiance aux 10 années d’analyse du sujet avec mes élèves et aux documents scientifiques qui s’y rattachent plutôt qu’à la production hétéroclite 3 de non-spécialistes des problèmes structuraux. Il ne faut donc pas mélanger l’intérêt médiatique et la rigueur scientifique car les intérêts sont divergents.

Richard Gage a initié la pétition de plus de 1 000 « architectes et ingénieurs » demandant la réouverture de l’enquête. Il « démontre » l’impossibilité des vitesses d’effondrement selon le « scénario officiel » en utilisant des maquettes en carton... oubliant les lois de similitude à respecter dans toute modélisation mécanique de la sorte.

1 NDLR. Deux de ces travaux ont été publiés (sur les 10 réalisés depuis 2001). Ces analyses ont d’abord été récompensées à l’occasion d’un concours, puis diffusées : la première dans la livraison n° 49 des Cahiers de l’APK en date de mai 2005 et la deuxième dans le Cahier n° 54 de juin 2010.