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Utiliser la science pour éclairer la justice : les enjeux de l’expertise criminalistique

Publié en ligne le 24 juillet 2024 - Expertise -

L’indice, au rebours du témoin, ne ment jamais. Il ne peut être récusé. Il a ouvert, dans l’administration de la justice, le règne du laboratoire.

Maurice Jarnoux, Paris Match, février 1951

Cette citation, issue d’un article consacré au grand criminaliste français Edmond Locard (1877-1966) à l’occasion de son départ en retraite [1], annonce l’avènement inexorable de la criminalistique. La simple existence dans un magazine grand public d’un portrait entièrement dédié à la célébration de cette figure tutélaire des sciences criminelles, créateur du premier laboratoire de police scientifique au monde en 1910, illustre la montée en puissance des experts au cours du XXe siècle. On en trouve les fruits dans les séries policières contemporaines, où les experts jouent désormais un rôle prépondérant, au point de créer un nouveau genre (séries Cop & Lab). Ce changement de paradigme, du témoignage vers la preuve scientifique, constitue une véritable révolution sociale et judiciaire. Elle confie de facto un pouvoir immense aux experts, questionnant la place de ces nouveaux acteurs de justice dont la présence est devenue indispensable et l’avis décisif. Si la loi française ne semble pas avoir pris toute la mesure de ce basculement, la jurisprudence américaine en la matière ainsi que les projets européens de normalisation laissent entrevoir les futures évolutions de l’expertise judiciaire.

L’expert, un sachant au service de la justice

Caractériser l’expertise n’est pas simple, tant cette qualification recouvre des usages et des domaines divers. L’expertise civile, comme en cas de contentieux de voisinage, relève ainsi de règles différentes de l’expertise pénale (cas d’un homicide par exemple). Dans ce second cas, l’article 427 du code de procédure pénale prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ». Il n’y a, juridiquement parlant, pas de preuve type : tous les éléments peuvent être appréciés sans a priori par un juge. La preuve peut ainsi être apportée par une expertise, quel que soit le domaine « technique » concerné. Le même code indique également que « toute juridiction d’instruction ou de jugement, dans le cas où se pose une question technique, peut, soit à la demande du ministère public, soit d’office, ou à la demande des parties ordonner une expertise » (art. 156).

Afin d’établir la preuve, il est donc possible de solliciter l’avis d’un expert, c’est-à-dire d’une personne disposant de compétences avérées dans le domaine considéré. Son savoir, ses compétences ou même son expérience doivent lui permettre d’analyser et d’interpréter les éléments qui lui sont soumis afin de produire des conclusions – une expertise – à même d’éclairer la justice. Cette définition, nécessairement large, peut s’appliquer aussi bien à l’analyse de traces numériques qu’à celle d’empreintes digitales, à l’autopsie du corps d’une victime qu’à l’expertise des insectes prélevés. Les objectifs de ces analyses peuvent également être très variés. Il peut s’agir de démontrer le contact entre deux personnes (le suspect et la victime par exemple) ou la présence d’un individu dans un lieu donné, de corroborer ou d’infirmer un témoignage, d’identifier une personne ou encore de prouver qu’un crime a été commis. Ces indications peuvent permettre d’orienter l’enquête mais également constituer des preuves. Ainsi, une trace de doigt relevée sur une arme de crime orientera les enquêteurs vers un suspect et pourra ensuite permettre à l’accusation d’argumenter au procès sur sa culpabilité dans la mort de la victime.

L’expert, un contributeur ancien et nécessaire

Recourir à l’avis d’une personne compétente afin de prendre une décision éclairée est une pratique profondément ancrée dans le fonctionnement judiciaire. Dans L’Art de procéder en justice ou La Science des règles judiciaires, pour découvrir la vérité, tant en matière civile, que criminelle (1680) [2], Louis Lasseré exposait déjà : « Il semble que les experts soient les véritables juges d’une chose, qui ne peut être connue, que par la science, & par la pratique journalière de l’art qu’ils exercent. Aussi voyons-nous que les juges confirment ordinairement leur apport : les experts de l’art d’un métier sont les juges de la question du fait ; & les juges décident seulement sur la question de droit ; car l’on ne porte jugement que sur les choses qu’on connaît […]. Et le juge ayant emprunté de la science des experts la certitude du fait, y applique après la maxime de droit, dont il est l’arbitre & l’interprète. »

Les Experts (détail), Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860)

On trouve ainsi posées, il y a plus de 340 ans, des bases qui sont encore en vigueur aujourd’hui : l’expert apporte à la justice son éclairage, auquel le juge applique le raisonnement juridique pour fonder in fine sa décision. Cette hiérarchie, que l’on pourrait résumer sous l’aphorisme « l’expert dépose, le juge dispose », pose un cadre clair : l’autorité judiciaire, maîtresse en son domaine, sollicite l’avis d’un auxiliaire de justice sans s’aliéner à ses conclusions. L’expert est ainsi placé dans un rôle de contributeur et non de décideur. Comme le disait Pline l’Ancien (23-79), Sutor, ne supra crepidam (« Cordonnier, pas plus haut que ta sandale », autrement dit : tiens-t’en à ton rôle).

Peut-on se fier aux expertises ?

Il existe un postulat implicite concernant l’expertise criminalistique qui voudrait que l’expert énonce des faits, indiscutablement établis par la science et conduisant à la manifestation de la vérité (cette dernière expression est généralement utilisée dans les réquisitions judiciaires adressées aux experts). Si cette vision est légitime, elle est malheureusement simpliste.

En amont de l’analyse
C’est tout d’abord parce que de nombreux choix interviennent avant même la réalisation de l’expertise à proprement parler. Cette phase amont inclut la sélection des éléments à analyser (recherche de la trace), des experts et des moyens employés. Imaginons le cas d’une recherche toxicologique : pour être pertinente, elle doit être menée par un expert compétent dans ce domaine (formation, expérience, etc.), disposant de prélèvements adaptés (du sang correctement prélevé puis conservé) et d’équipements adéquats (tubes, réactifs, spectromètres, bibliothèques de références, etc.). Sans même parler d’erreurs, toutes ces étapes impliquent à des degrés divers des choix qui conditionneront la validité, la précision et la fiabilité des résultats obtenus. Dans l’affaire du fantôme d’Heilbronn [3], qui dura de 1993 à 2008, plus de 100 policiers et enquêteurs furent mobilisés pour traquer une criminelle dont l’ADN était épisodiquement retrouvé sur des scènes de crimes en Allemagne, en Autriche et en France. Après plus de 1 400 pistes analysées sans succès, la propriétaire de l’ADN en question fut finalement identifiée. Il s’agissait d’une employée de l’usine fabricant les écouvillons utilisés pour les prélèvements, qui avait accidentellement contaminé tout un stock. Une erreur d’ampleur provoquée par un simple problème d’hygiène, très en amont de la chaîne criminalistique.

La phase d’analyse
Durant la phase suivante, l’analyse, l’expert va mettre en œuvre son savoir-faire pour « faire parler » les prélèvements et tenter d’en extraire l’information recherchée. Il est pour cela nécessaire qu’il dispose de protocoles adaptés et qu’il les mette en œuvre correctement. Malheureusement, il existe rarement une réponse analytique simple et unique à une question donnée. Certaines méthodes sont réputées plus fiables, d’autres plus précises, et les progrès continus de la science modifient continuellement ces équilibres. Ainsi, deux experts n’emploieront pas nécessairement les mêmes méthodes et n’obtiendront pas toujours les mêmes résultats, sans qu’il soit forcément possible de les départager. Dans le domaine de l’entomologie médico-légale par exemple, l’âge des larves d’insectes prélevées sur un corps est calculé pour tenter de déterminer rétrospectivement le moment de la mort. Pour ce faire, les spécialistes utilisent des modèles mathématiques liant température et durée de développement. Il existe cependant différents modèles, tous valides scientifiquement mais qui peuvent donner des résultats différents : l’expert choisit le modèle qui lui semble le plus adapté à une situation donnée [4].

L’interprétation
Le dernier niveau est celui de l’avis : en effet, une expertise ne se limite pas à un résultat d’analyse mais doit également intégrer son interprétation. Ainsi, un rapport toxicologique inclura non seulement la méthode d’analyse utilisée, la valeur obtenue et sa marge d’erreur, mais également l’avis de l’expert, par exemple sur la létalité possible de la dose mesurée. Comme il n’existe pas toujours de données sur ces questions, l’interprétation des résultats peut différer entre experts. Un exemple historique resté célèbre concerne Marie Besnard, « l’empoisonneuse de Loudun », suspectée d’avoir tué douze personnes en leur faisant ingérer de l’arsenic [5]. Ses procès successifs (l’affaire durera de 1949 à 1961) verront s’affronter plusieurs experts toxicologues ayant obtenu des résultats divergents et présentant des interprétations contradictoires. La difficulté de démontrer l’empoisonnement des victimes, notamment en raison de la présence d’arsenic dans le sol du cimetière pouvant avoir contaminé les corps post-mortem, conduira finalement à l’acquittement de Marie Besnard au bénéfice du doute [6].

Affiche de 1900 pour la pièce américaine à succès Sherlock Holmes, ill. anonyme.

Pour répondre à cet enjeu, les experts judiciaires s’orientent désormais vers une approche dite bayésienne afin de mieux formuler et standardiser leurs conclusions [7]. Cette méthode statistique consiste à évaluer la probabilité d’observer un résultat donné selon l’hypothèse considérée. Il s’agit par exemple de déterminer la probabilité d’observer sous la chaussure d’un suspect une trace de sang du même groupe que celui de la victime en considérant deux hypothèses : la présence du suspect chez la victime (accusation) ou l’absence de tout contact (défense). Cette formulation en termes de vraisemblance permet de faciliter la compréhension des expertises criminalistiques en limitant la part d’interprétation du lecteur et en créant un cadre standardisé.

Encadrement judiciaire de l’expertise : qui contrôle les gardiens ?

Si la place de l’expertise scientifique dans le processus judiciaire s’est considérablement
accrue au cours du XXe siècle, son encadrement n’a pas été renforcé dans les mêmes proportions. Il est à ce titre édifiant de se replonger dans le portrait d’Edmond Locard que dressait Paris Match en 1951. La manchette de l’article annonçait ainsi fièrement : « Il n’est pas une affaire importante où il ne soit intervenu. (…) Faussaires, corbeaux de village, empoisonneuses ont été traqués et confondus par l’œil impitoyable de son microscope. » On y apprend ainsi que le docteur Locard était à la fois un spécialiste des empreintes digitales, d’identification des écritures (avec un « pourcentage de réussite de 80 % », un chiffre totalement invérifiable), d’analyse d’encres, de toxicologie, d’étude morphologique des poils et cheveux, et même capable d’authentifier un violon attribué à Stradivarius ! Si un tel inventaire à la Prévert peut aujourd’hui faire sourire et relève plus de l’hagiographie que du documentaire, il illustre également le risque que peut présenter la sollicitation d’un expert au-delà de son domaine de compétences ou de ce qui est raisonnablement possible. Car par essence, qui connaît tout n’est expert de rien.

Le flair des chiens


La division de police technique et scientifique d’Écully a récemment développé et formalisé une méthode d’identification, l’odorologie, fondée sur les capacités olfactives des chiens [1, 2, 3]. Dotés d’un odorat bien plus sensible que le nôtre, certains chiens spécialement entraînés sont en effet capables de détecter et d’identifier une odeur résiduelle imperceptible par l’Homme [4]. Partant du principe que chaque être humain possède une signature olfactive qui lui est propre, l’équipe française a mis au point un protocole de test qui permet d’associer de manière fiable un individu à un prélèvement olfactif. Si les chiens détectent l’odeur de l’individu cible sur un prélèvement, c’est que l’individu a été en contact avec l’objet ou le lieu où a été réalisé ce prélèvement. On peut ainsi démontrer qu’un suspect se trouvait dans une voiture ou qu’il a été en contact avec une arme. Cette méthode est régulièrement mise en œuvre et fait l’objet de rapports d’expertise présentés devant les tribunaux. Sa fiabilité reste cependant discutée [1, 5, 6].

Références
1 | Marchal S et al., “Rigorous training of dogs leads to high accuracy in human scent matching-to-sample performance”, PLOS ONE, 2016, 11 :e0146963.
2 | Cordier C, « L’odorologie : nouvelle arme de la police scientifique », France Info, 3 mars 2016.
3 | Barge S, « La capture des odeurs », Science et Vie,<7 juin 2015.
4 | Troisi CA et al., “Behavioral and cognitive factors that affect the success of scent detection dogs”, Comparative cognition and behavior reviews, 2019, 14 :51-76.
5 | Comité français d’accréditation, « Une étape majeure dans la reconnaissance de la fiabilité de la science des odeurs », novembre 2016. Sur cofrac.fr
6 | Taslitz EA, “Does the cold nose know ? The unscientific myth of the dog scent lineup”, Hastings Law Journal, 1990, 42 :15-134.

Il semble donc indispensable pour l’institution judiciaire, qui confie de grands pouvoirs aux experts, de s’assurer de leurs compétences et de la qualité de leurs conclusions. Cependant, si quelques procédures quant à la désignation des experts existent, celles-ci semblent encore bien maigres au vu des enjeux.

Pour figurer sur la liste des experts inscrits près d’une cour, et donc reconnus par la justice, le candidat doit déposer une demande incluant une lettre de motivation manuscrite, un curriculum vitae, les copies de ses diplômes et titres universitaires ainsi qu’un rapport d’activité [8, 9]. Une enquête administrative permet de s’assurer de la moralité de l’expert, tandis que les magistrats se prononcent sur sa légitimité. Comme l’indique le dossier de candidature proposé par la cour d’appel de Paris, la cour « apprécie les mérites des candidatures en veillant à ne retenir que celles déposées par des professionnels attestant de garanties, d’une part, d’excellence (CV, diplômes, formation, expérience dans la spécialité demandée, travaux et publications, etc.), d’autre part, de moralité, d’indépendance, et de disponibilité » [9]. On voit ici que l’évaluation des compétences des experts incombe à des magistrats qui ne sont, par définition, ni experts ni scientifiques. Leur tâche est donc essentiellement une vérification ponctuelle (initiale puis tous les trois à cinq ans) de la formation, de l’activité professionnelle et de l’expérience des candidats. À ces critères s’ajoutent des aspects « pratiques », à savoir leur capacité à répondre régulièrement et rapidement aux sollicitations de la justice. Ce qui n’est pas toujours bon signe, les experts les plus compétents étant souvent accaparés par de multiples activités (enseignement, recherche, etc.).

L’affaire du « petit Grégory »


La tristement célèbre affaire du petit Grégory, qui agite épisodiquement la justice depuis plus de 40 ans, illustre les apports et limites de l’expertise scientifique. L’enquête initiale s’est concentrée sur les auditions de témoins, avec des ratés retentissants, ainsi que sur des analyses de comparaison d’écritures. Celles-ci, destinées à identifier l’auteur (ou les auteurs) des lettres anonymes adressées à la famille Villemin, ont conduit à des résultats bien différents selon les experts. Certains résultats ont même dû être écartés en raison d’erreurs de procédure. Tirant le parti des progrès technologiques, une batterie d’expertises a depuis été déployée : traces génétiques (ADN), confrontations massives de données grâce à des logiciels d’analyse (Anacrim) ou encore comparaisons stylistiques pour tenter d’identifier le corbeau. Cette dernière expertise, issue des sciences littéraires et baptisée stylométrie, était jusque-là inédite en France. Certains avocats n’ont pas manqué de l’attaquer avant même la diffusion des résultats, estimant cette expertise « d’un ridicule absolu » [1]. Des scientifiques ont également questionné l’application de cette méthode statistique sur un corpus de données très limité (des lettres de quelques pages) [2].

Références
1 | Vecchio M, Lepoivre A, « Affaire Grégory : l’avocat de Jacqueline Jacob dénonce des “pseudos expertises et des approximations” », BFMTV, 16 décembre 2020.
2 | Puren M, Gabay S, « Affaire Grégory : la stylométrie permettra-t-elle enfin d’identifier le corbeau ? », The Conversation, 27 janvier 2021.

Affiche de 1900 pour la pièce américaine à succès Sherlock Holmes, ill. anonyme.

Des dispositions bien plus contraignantes existent, notamment dans les pays anglosaxons, où le CV des experts et leur méthodologie sont passés au crible à l’occasion de chaque déposition. L’entomologiste anglais Martin Hall écrivait ainsi en 2021 dans un article en forme de bilan [10] : « Dans le premier rapport d’expertise que j’ai rédigé en 1992, la seule façon dont on pouvait savoir que j’avais des connaissances en entomologie était le fait que mon adresse indiquait Department of Entomology at the Natural History Museum, London (Département d’entomologie du musée d’histoire naturelle de Londres). À l’inverse, ma déclaration finale produite en 2019 comprenait, en plus d’un récapitulatif détaillé de mes qualifications et de mon expérience, une déclaration de plus de 20 points (…) déclarant notamment que j’étais conscient de mes devoirs en tant qu’expert. »

La « jurisprudence Daubert » aux États-Unis


Les États-Unis se sont dotés d’une puissante réglementation, connue sous le nom de jurisprudence Daubert, qui encadre la preuve technique et scientifique [1, 2]. Elle inclut à la fois des critères d’utilité de l’expertise sollicitée, de compétences de l’expert, de choix des méthodes employées pour l’analyse et de garanties apportées quant à leur mise en œuvre.

La réglementation américaine (Règle 702 – 2011 : déposition par un expert) relative aux expertises prévoit ainsi que :
« Un témoin, qualifié d’expert en raison de ses connaissances, de ses compétences, de son expérience, de sa pratique ou de sa formation peut témoigner […] si :

a. Ses connaissances scientifiques, techniques ou autres savoirs spécifiques contribueront (…) à comprendre les preuves ou à déterminer un fait considéré ;
b. Le témoignage est fondé sur des faits ou des données suffisantes ;
c. Le témoignage est le produit de principes et de méthodes fiables ;
d. L’expert a appliqué de manière fiable les principes et méthodes aux faits de l’affaire. »

Cette règle 702 est complétée par la jurisprudence Daubert, qui réunit les conclusions de trois affaires jugées par la Cour suprême et qui précise et complète la loi en posant plusieurs lignes directrices :

  1. Le juge est gardien. C’est au juge qu’il incombe de s’assurer que le témoignage d’un expert répond aux critères attendus et d’autoriser ou non un expert à déposer.
  2. Pertinence et fiabilité. Le juge doit s’assurer que le témoignage de l’expert est pertinent et estimer s’il repose sur des bases fiables.
  3. Connaissance scientifique = méthode scientifique. Une conclusion peut être qualifiée de connaissance scientifique uniquement si elle résulte de l’application d’une « méthodologie scientifique » solide (test d’hypothèses).
  4. Éléments d’appréciation. Différents indicateurs permettent d’apprécier le caractère scientifique d’une preuve :
    • La théorie ou la technique employée par l’expert est-elle acceptée par la communauté scientifique ?
    • A-t-elle été soumise à un examen par les pairs et à une publication ?
    • Peut-elle être testée ?
    • A-t-elle un taux d’erreur connu ?
    • A-t-elle été menée indépendamment du litige en question ? »

Attachée au fond autant qu’à la forme, cette vision dépasse le cadre strictement juridique pour s’attacher plus généralement à définir ce qui fonde l’intérêt et la légitimité d’une expertise, et notamment son caractère scientifique.

Références
1 | Mnookin J, “Science, justice, and evidence”, Science, 2023, 382 :741.
2 | Encinas de Munagorri R, « La recevabilité d’une expertise scientifique aux États-Unis », Revue internationale de droit comparé, 1999, 51 :621-32.

De nombreux autres pays se sont largement inspirés de la réglementation américaine, pionnière en la matière, pour pousser à renforcer leurs propres règles (voir l’encadré sur la jurisprudence Jaubert). Une récente étude [11] réalisée aux Pays-Bas a par exemple mis en évidence qu’une part significative des expertises médicolégales de datation de décès produites devant les cours néerlandaises ne respectaient pas les critères Daubert américains, et que les magistrats n’avaient pas connaissance ni conscience des limites techniques et scientifiques de ces expertises.

Les normes, futur de l’expertise ?

Le principe de la normalisation des analyses criminalistiques, acté par une résolution-cadre de l’Union européenne de 2009, vise à assurer la qualité des expertises en appliquant des standards internationaux [12]. Il s’agit pour les laboratoires d’analyse de se conformer à des prescriptions édictées par le comité ISO (organisation internationale de normalisation) dans une démarche de transparence, de traçabilité et d’amélioration continue. Pour ce faire, deux normes préexistantes sont actuellement utilisées : la 17020 (inspections) et la 17025 (analyses de laboratoires). Les laboratoires d’analyse génétique et dactyloscopique (empreintes digitales) doivent ainsi être accrédités sous ces normes afin d’instaurer « une confiance mutuelle dans la validité des principales méthodes analytiques utilisées ». Outre ces laboratoires, l’Institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale (IRCGN) a également accrédité de manière proactive d’autres expertises criminalistiques, dont l’entomologie médico-légale pour la datation du décès [13].

Afin de renforcer cette approche d’encadrement de l’expertise à l’échelle européenne, une nouvelle norme dédiée est en cours d’écriture : il s’agit de la norme ISO 21043 Science criminalistique [14]. Elle couvre l’ensemble de la chaîne de la preuve, de la gestion de la scène de crime à la déposition des experts lors d’audiences aux assises. Même si sa finalisation et sa mise en œuvre doivent prendre encore quelques années, il s’agit d’une avancée majeure pour assurer la qualité de l’expertise scientifique judiciaire.

Références


1 | Mathieu C, « Dans les archives de Match : les confidences du docteur Locard, pionnier de la police scientifique », Paris Match, 2 février 2021.
2 | Lasseré L, L’Art de procéder en justice ou La Science des règles judiciaires, pour découvrir la vérité, tant en matière civile, que criminelle, N. Le Gras, 1680. Sur gallica.bnf.fr
3 | Gasiorowski-Denis E, “The mystery of the Phantom of Heilbronn”, ISO, 6 juillet 2016. Sur iso.org
4 | Charabidze D et al., « ForenSeek : un programme de simulation du développement des insectes nécrophages dédié à l’entomologie médico-légale », Annales de la Société entomologique de France, 2008, 44 :385-92.
5 | Volf E, « L’affaire Marie Besnard », SPS n° 245, décembre 2000. Sur afis.org
6 | Anger JP, Goullé JP, « L’affaire Marie Besnard : une querelle d’experts qui s’achève par un acquittement », Annales de Toxicologie Analytique, 2006, 18 :285-90.
7 | Andersson MG et al., “Application of the Bayesian framework for forensic interpretation to casework involving postmortem interval estimates of decomposed human remains”, Forensic Science International, 2019, 301 :402-14.
8 | Loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires. Sur legifrance.gouv.fr
9 | Décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires. Sur legifrance.gouv.fr
10 | Hall MJR,“The relationship between research and casework in forensic entomology”, Insects, 2021, 12 :174.
11 | Gelderman T et al., “The time of death in Dutch court. Using the Daubert criteria to evaluate methods to estimate the PMI used in court”, Legal Medicine, 2021, 53 :101970.
12 | Conseil de l’Union européenne, « Décision-cadre 2009/905/JAI du Conseil du 30 novembre 2009 relative à l’accréditation des prestataires de services de police scientifique menant des activités de laboratoire », 9 décembre 2009. Sur eur-lex.europa
13 | Gaudry E, Dourel L, “Forensic entomology : implementing quality assurance for expertise work”, International Journal of Legal Medicine, 2013, 127 :1031-7.
14 | ISO/CD 21043-3.3, « Science criminalistique ». Sur iso.org

Publié dans le n° 348 de la revue


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L' auteur

Damien Charabidze

Professeur à l’université de Lille (UMR 8025), spécialiste des insectes nécrophages et expert judiciaire en (…)

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