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Thèse d’Élizabeth Teissier : réactions dans les médias (2)

Publié en ligne le 21 avril 2001 - Astrologie -

Le Monde du 22/05/01

De quoi Élizabeth Teissier est-elle coupable ?
par Alain Touraine

ABSENT de France au moment de la soutenance de thèse d’Élizabeth Teissier et de la polémique qui l’a suivie, je n’ai voulu rester ni ignorant ni silencieux. Cette thèse vient d’être mise à la disposition des enseignants et des chercheurs. Je me suis présenté le premier et j’ai consacré la journée du 15 mai à sa lecture. La question qui a soulevé les passions est :

Mme Teissier a-t-elle affirmé que l’astrologie est une science ?

En 1975, une vingtaine de Prix Nobel et une centaine de scientifiques avaient déclaré que les affirmations et prévisions de l’astrologie ne remplissaient pas les conditions de la connaissance scientifique. J’ai moi-même, comme la plupart des sociologues, une réaction de vif rejet à l’égard de l’irrationalisme et des efforts faits pour relativiser la science et la mettre sur le même plan que n’importe quel type de connaissance.

Je ne me pose donc pas la question de savoir si j’approuve ou si je condamne l’affirmation que l’astrologie est une science. Je voulais savoir ce que Mme Teissier avait dit, Si elle avait écrit cette affirmation et pris l’astrologie pour une science, pourquoi pas pour une cousine de l’astronomie.

Après la lecture de ces plus de 800 pages, la réponse à la question posée s’impose à moi : Mme Teissier n’a pas défendu cette position scandaleuse, et que j’aurais été le premier à condamner. Les reproches que j’ai à lui faire sont d’une nature presque opposée et montrent plutôt le malentendu qui s’est créé, ou la rouerie de l’astrologue. Mais je n’ai lu nulle part dans sa thèse que l’astrologie était scientifique et, quand elle commente elle-même une enquête qui l’affirme, elle critique, à juste titre, des résultats fragiles.

Il est vrai qu’elle définit l’astrologie comme science humaine. Ce qui m’attriste, car cette formule, qui résume de longs développements et même l’idée centrale de la thèse, veut dire que les sciences humaines sont d’une tout autre nature que les sciences de la nature. Idée assortie de beaucoup de citations de Georg Simmel et de Max Weber et qui est doublement incongrue. D’abord, parce que l’affirmation que la position des astres influe sur les conditions humaines relève des sciences naturelles - qui la rejettent - et non des sciences humaines. Ensuite, parce qu’une réflexion générale sur la nature de la connaissance en sciences humaines n’a jamais rendu positive une corrélation qui est nulle.

La conception très générale des sciences humaines définie par Mme Teissier ne devrait dispenser personne de démontrer une affirmation précise. Quant à la tirade oratoire qui dénonce la pauvreté de la science qui n’a saisi qu’une petite partie de la réalité depuis le triomphe du rationalisme, elle m’est indifférente, puisque la démarche scientifique a justement consisté le plus souvent à établir des faits, des observations et des relations bien limités.

Étant moi-même au plus loin de considérer la connaissance des faits sociaux comme identique aux sciences de la nature, je m’irrite quand on déverse sur les sciences humaines tout ce qui est rejeté par les sciences de la nature. Les sciences sociales ne sont pas des non-sciences de la nature. Mais il faut se calmer, car les faits rapportés par Élizabeth Teissier et qui proviennent « de son expérience et de sa sensibilité » (p. 533) relèvent plutôt de la chronique journalistique. Elle accumule ses souvenirs et, en particulier, ceux de ses rencontres avec François Mitterrand, dont l’image se brouille ainsi encore davantage.

Alors qu’on reproche à Mme Teissier de défendre une science astrologique, je regrette qu’elle soit si limitée dans ses analyses, qui sont seulement des souvenirs.

Je dois terminer en m’interrogeant à mon tour sur les raisons de cette thèse qui représente un effort considérable et de larges connaissances. Elles sont clairement exprimées. Nous ne savons plus découvrir l’unité de l’univers et nous devons de toute urgence revenir à des modes de connaissance capables de nous découvrir, à travers notre expérience vécue, sensuelle et émotive autant qu’intellectuelle, les mondes que nous a cachés la science. Il faut aller au-delà de la raison et de ses calculs ; il faut comprendre - mais en ne donnant pas à ce mot le sens que lui a donné Weber -,en participant, en appartenant. Et nous allons heureusement sortir de ce scientisme et rencontrer que c’est l’être tout entier qui doit produire la connaissance, et pas seulement l’esprit.

On a reproché sans raison à Mme Teissier de consacrer sa thèse à une fausse science ; en fait, elle ne l’a consacrée qu’à elle-même. Aux docteurs en Sorbonne de décider dans quelles conditions on peut écrire une thèse sur soi-même.

Alain Touraine est sociologue

Source : Le Monde du 22/05/01


LE MONDE 14/05/01

La sociologie au miroir de la thèse d’Élizabeth Teissier

UN MOIS après avoir abrité la soutenance d’une thèse de sociologie par l’astrologue Élizabeth Teissier, la Sorbonne a été, samedi 12 mai, le théâtre d’une sorte de contre-soutenance, consacrée à ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’ »affaire Teissier » (Le Monde du 5 mai). L’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES) avait organisé une réunion publique ayant pour thème « la thèse de sociologie, questions épistémologiques et usages après l’affaire Teissier ».

L’objet de la rencontre, qui a rassemblé une soixantaine de participants, était, comme l’a indiqué Daniel Filâtre, président de l’ASES, de savoir s’il fallait ou non condamner cette soutenance, et si oui avec quels arguments, et « quelles armes pourraient ou devraient à l’avenir être mises en place pour réguler la profession » de sociologue. Elle était notamment motivée par le succès d’une pétition lancée par l’ASES demandant au président de l’université de Paris V « de surseoir à l’enregistrement de la thèse de Mme Teissier et de faire procéder par des experts indépendants et reconnus à un réexamen approfondi de ses travaux ». Le texte a reçu la signature de quelque 370 sociologues, soit environ un tiers des représentants de cette discipline. Mais les débats, animés, ont vite montré que les réponses aux questions posées par cette soutenance étaient loin d’être univoques.

« UNE APOLOGIE MILITANTE »

Christian Baudelot (ENS), signataire avec son collègue Roger Establet d’un texte condamnant la soutenance et ceux qui l’avaient autorisée (Le Monde du 18 avril), a donné, citations à l’appui, sa lecture de ce qui constitue à ses yeux « une apologie militante, polémique, de l’astrologie », doublée d’un propos « antirationaliste avancé ». Élizabeth Teissier va même, s’insurge-t-il, jusqu’à « abaisser la sociologie »- laquelle occulterait, selon elle, la dimension cosmique des phénomènes sociaux, « dimension qui, selon le paradigme astrologique, et notre conviction, écrit-elle (pp. 524-525), vient coiffer le social ».

Son collègue Dominique Desjeux (Paris V), qui, lui aussi, a lu la thèse en détail, considère qu’il ne s’agit ni d’une thèse ni de sociologie, mais, au-delà des chapitres introductifs, de « 5 à 600 pages de marketing pro-Teissier ». Il s’étonne que la doctorante ait pu qualifier le sociologue Max Weber de « taureau pragmatique », et signale nombre de citations détournées de leur sens initial et de références tronquées, voire erronées.

Jean-Yves Trépos (université de Metz), président de la section de sociologie au conseil supérieur des universités, note que, si la sociologie est constituée de multiples courants et méthodes, « la rigueur est un élément validable ». « Or là, dit-il, il n’y en a pas. » Aussi soulève-t-il la question de la « responsabilité professionnelle » de Michel Maffesoli, le directeur de thèse d’Élizabeth Teissier, qui a pris le risque « de flinguer pour longtemps ses candidats, passés et à venir ». Ceux-ci seront-ils marqués du sceau d’infamie du « maffesolisme » ? Assistera-t-on à un renforcement des guerres de tranchée entre écoles, dont la sociologie a toujours été friande ?

Maryse Tripier (Paris VII) estime que la discipline en a suffisamment souffert, et qu’il faudrait plutôt discuter des normes académiques et de « ce qui fait que l’on se reconnaît les uns les autres comme sociologues ». Pour d’autres, l’ »affaire Teissier » est avant tout un miroir, certes déformant, mais révélateur, tendu à la sociologie et aux pratiques universitaires. Les mauvaises thèses, assure Armel Huet (Rennes), signataire de la pétition, sont un problème récurrent en sociologie. « Il m’est arrivé de refuser d’en diriger, précise-t-il, mais elles ont été soutenues ailleurs ». Et la lecture exhaustive des rapports de thèses fournis par les jurys lui semble « bien plus édifiante que l’affaire Teissier ».

« PETITES COMPROMISSIONS »

Un diagnostic confirmé par Alain Quemin (Marne-la-Vallée), pour qui la composition des jurys, souvent constitués de « bandes de copains », tout comme les procédures opaques des recrutements à l’université font partie de ces « petites compromissions et lâchetés »qui, « comme l’adultère chez les bourgeois au XIXe siècle, seraient acceptables tant qu’elles ne sont pas connues ». Faute d’autorégulation efficace, la très grande liberté dont jouissent les universitaires devrait s’accompagner, selon lui, d’un droit de regard extérieur, « exercé par exemple par le ministère ».

Ces aspects du débat n’ont pas particulièrement retenu l’attention de Michel Maffesoli qui, seul ou presque dans l’arène, « persiste et signe ». « Quand on accepte la soutenance d’une thèse, c’est qu’elle est discutable », dit-il. Il n’en démord pas : certes, « pour un tiers de la thèse, on voit pointer l’oreille de l’astrologue », mais la prétention de celle-ci à présenter sa discipline comme une science, et les « dérapages » du chapitre 6 consacré aux médias ont fait l’objet de critiques lors de la soutenance. Rasséréné lorsqu’un collègue s’insurge contre l’institution d’un « tribunal de la pensée » dont il ferait les frais, il est plus mal à l’aise quand on le somme de préciser ce que ces 900 et quelques pages ont pu apporter à la sociologie. Et se borne finalement à constater le fossé qui le sépare des sceptiques envers son approche « compréhensive » : « Nous n’avons pas lu la même thèse. »

Ce constat ne décourage pas Philippe Cibois, secrétaire général de l’ASES, pour qui l’« affaire » aura finalement été positive pour la discipline. « Ce qu’on attend de nous, conclut-il, c’est de définir des normes objectives de ce qu’est un travail sociologique. Mais ce travail reste à faire. » Lorsque deux intervenants s’empoignent sur la question de savoir si, oui ou non, les faits sociaux peuvent être considérés comme des choses, on pressent que ce chantier sera de longue haleine...

Hervé Morin

Source : Le Monde

http://www.lemonde.fr/imprimer_article/0,6063,183008,00.html


Nouvel Observateur — Semaine du 10 mai 2001 — N° 1905

Élizabeth Teissier a-t-elle piégé la Sorbonne ?

Astres et désastre

L’astrologue la plus célèbre de France a toujours rêvé de faire rentrer sa discipline à l’Université, d’où elle avait été chassée par Colbert au XVIIe siècle. En devenant docteur en sociologie, elle a marqué un point. Depuis, la polémique fait rage

Ce jour-là, elle avait choisi de faire dans le genre discret, Germaine Hanselmann, plus connue à la ville sous le nom d’Élizabeth Teissier, astrologue de renom, familière des puissants. Pas de maquillage pour ce 7 avril, juste un joli brushing. Et, choix méritoire pour cet ancien mannequin de chez Chanel qui aime les minijupes, un tailleur pantalon. Une tenue sobre pour un grand événement : passer une thèse en Sorbonne, ça vous marque la vie d’un homme ou d’une femme. Et soutenir cette thèse dans le vieil amphi Liard, avec, dans le jury en face de vous, Serge Moscovici, l’ami et directeur de thèse Michel Maffesoli et quelques autres éminences universitaires, il y a de quoi être impressionné. Même si on a le public avec soi : l’attaché de presse de la dame avait bien fait son travail, les 280 invités avaient reçu leur carton d’invitation - les appariteurs de la Sorbonne n’avaient jamais vu autant de femmes élégantes, manifestement plus familières des boutiques du faubourg Saint-Honoré que des banquettes un peu dures que l’Université réserve à ses étudiants. Le professeur Cabrol était là. Les photographes de presse occupaient l’escalier. Il y avait même un yorkshire dans l’assistance. L’événement qui agite depuis quelques semaines la sociologie française pouvait commencer : Élizabeth Teissier allait devenir docteur en sociologie après avoir soutenu sa thèse, un gros pavé - 900 pages en deux volumes - intitulé : « Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes ».

Ce fut une soutenance bizarre, avec une Élizabeth Teissier survoltée, refusant d’entendre son directeur de thèse, Michel Maffesoli, quand il affirmait dans ses commentaires que, s’il était légitime pour un sociologue d’étudier l’astrologie en tant que croyance, il n’était pas question, en revanche, de la reconnaître comme une science. « Mais si, c’est une science », rétorque-t-elle en s’emparant du micro. Maffesoli lui fait signe de poser le micro, la rappelle à l’ordre : « Je vous ai dit de ne pas m’interrompre, ne parlez pas. » Elle ne veut rien entendre. « Je n’ai pas écrit 900 pages pour rien », grommelle-t-elle. « Elle se croyait chez Dechavanne », raconte un de ceux qui avaient trouvé place dans l’amphi. Bref, ce fut mémorable. Et le jury, après une délibération de cinq minutes, revint en déclarant que Mme Germaine Teissier, née Hanselmann, serait docteur de l’université et se voyait décerner la mention « très honorable » pour son travail...

Huit jours après, les deux sociologues renommés que sont Christian Baudelot et Roger Establet publient un papier en une du Monde pour déplorer la braderie médiatique « dont la Sorbonne vient de donner le spectacle. » « Tous les contrôles ont sauté », affirment-ils. Et de dénoncer à la fois les autorités académiques « somnolentes » de l’université René-Descartes et le directeur de la thèse de Mme Teissier, Michel Maffesoli, auteur d’un piège tendu à la sociologie dans lequel il serait lui-même tombé. Et parodiant Voltaire pour qui « la superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage », ils écrivent non sans cruauté : « On saura désormais que le maffésolisme est la fille très folle de Madame Soleil »... Voilà bien des comptes réglés en quelques lignes. Le lendemain, c’est Alain Bourdin, autre sociologue, dont la pensée est très différente de celle de Baudelot et Establet, qui écrit dans Libération qu’on vient de fournir un argument massif à ceux qui voudraient ridiculiser la sociologie, la vraie, alors que la société actuelle a le plus extrême besoin de ses lumières...

La polémique est lancée. Et elle dure encore aujourd’hui. On voit déjà qu’elle passe loin au-dessus de la chevelure rousse de la toute nouvelle docteur en sociologie de l’université Paris-V... qu’on aurait bien tort de considérer comme un jouet innocent, victime de querelles dans laquelle elle se trouverait prise par hasard.

Elle a une idée fixe, Élizabeth Teissier, ex-astrologue de François Mitterrand et de beaucoup d’autres : « réparer le crime commis par Colbert, abjecte incarnation de la comptabilité bourgeoise » - la citation du peintre Mathieu se trouve dans la thèse de Mme Teissier -, qui eut l’audace de bannir en 1666 l’astrologie de la Sorbonne. Elle raconte sans fard dans le livre qu’elle a consacré à ses entretiens avec Mitterrand comment, dès 1987, elle avait entrepris le siège de Jack Lang, lui promettant un mois de mai 1988 exceptionnel. Jack Lang lui avait répondu : « Si c’est vrai, vous pourrez me demander ce que vous voulez. » Et ce que voulait Élizabeth Teissier, c’était pouvoir rencontrer le recteur de l’académie de Paris, personnage qu’elle présumait « bardé de préjugés contre l’astrologie », afin de pouvoir plaider sa cause. Jack Lang oublia sa promesse, dit Teissier dans son livre. Alors, dès 1992, c’est le président de la République lui-même qu’elle entreprend. Qui l’assure de son soutien, qui lui fera rencontrer le recteur d’alors, Michèle Gendreau-Massaloux, son ancien porte-parole à l’Élysée. Élizabeth Teissier était toute confiante. Les planètes étaient avec elle : on allait vers une conjonction Uranus-Neptune, hyper-favorable. Elle ira jusqu’à écrire dans une des éditions d’un de ses livres, « l’Astrologie, science du XXIe siècle : Rendez-vous le 18 octobre 1993 à la Sorbonne ». Las, les planètes sont capricieuses, même envers ceux qui les servent avec passion, et elles ont maintes fois fait dérailler les prévisions de Mme Teissier. Heureusement : à l’en croire, l’éclipse totale de Soleil d’août 1999 devait entraîner des catastrophes en série, un conflit ouvert entre l’Inde et le Pakistan, la reprise de la guerre au Kosovo, l’implosion révolutionnaire de la Chine, et on vous fait grâce de quelques tremblements de terre et accidents nucléaires. Bref, avec ou sans soutien de François Mitterrand, l’astrologie resta à la porte de la Sorbonne.

D’où la thèse, ce qui suppose de la part de notre astrologue obstination et courage. Celle qui avait été admissible aux épreuves d’agrégation de grammaire s’inscrivit d’abord au DEA de sociologie de Michel Maffesoli. Et puis elle s’attaqua à la rédaction de sa thèse. « J’ai travaillé comme une folle, pendant des mois », a-t-elle dit à ses proches. Le résultat ? On se gardera bien de dire ici, après un coup d’œil rapide sur les 900 pages de l’ouvrage, s’il s’agit ou non de bonne sociologie. Son professeur, Michel Maffesoli, juge que, sur les six chapitres de la thèse, il y en a cinq qui sont bons et un sixième où sa célèbre étudiante a quelque peu dérapé. « Ce n’est pas grave, ajoute-t-il. Il y a toujours des parties faibles dans une thèse. » Mais il restait suffisamment de bons chapitres pour que la thèse présentée par Élizabeth Teissier mérite sa mention « très honorable ». Serge Moscovici, qui a présidé le jury, juge lui aussi que c’est une bonne thèse, ajoute que le jury a été unanime pour apprécier la qualité et la quantité du travail et estime que si ça n’avait pas été celle de Mme Teissier, on n’en aurait pas parlé. « C’est le genre de phénomène qu’il est capital de traiter, dit-il. A notre époque où l’on vit une avalanche scientifique et technique, on assiste partout dans le monde à la montée extraordinaire d’autres formes de pensée et de conduite qu’on pourrait qualifier de magiques : voyez aux États-Unis la mode New Age ou celle des télévangélistes. Les Américains analysent tout cela de façon systématique... »

Là-dessus tout le monde est d’accord, en commençant par l’homme qui a le premier donné l’alerte en apprenant l’existence de la thèse d’Élizabeth Teissier, c’est-à-dire Jean Audouze, astronome de renom qui dirige le Palais de la Découverte à Paris. Lorsqu’elle étudie une croyance, la sociologie fait oeuvre utile. Mais ce n’est pas ce qui l’inquiétait lorsqu’il a écrit dès le 20 mars, au président de Paris-V. « Élizabeth Teissier fera sans aucun doute un usage médiatique inconsidéré de sa qualité de docteur pour chercher à faire croire au public que l’astrologie est une science », disait-il dans sa lettre. Pour parer le danger, il suggérait au président de l’université de retarder la soutenance de thèse, le temps de procéder à un audit de la thèse par des personnalités extérieures au département de sociologie de Paris-V. Et pour lui demander de publier un communiqué officiel au moment de la soutenance de thèse pour dire que « cette étude sociologique n’implique en aucune manière que l’université Paris-V reconnaît à l’astrologie un caractère scientifique quelconque ». Le président de l’université, Pierre Daumard, un économiste, s’est bien gardé de répondre à son collègue Jean Audouze. Cela aurait créé un fâcheux précédent. Car où irait-on si n’importe quel quidam s’arrogeait le droit de remettre en question le contenu des travaux universitaires agréés par ceux qui ont mission de le faire ? Ce serait, d’une certaine façon, la fin des franchises universitaires et de la liberté qui va avec. Même dans le cas infiniment plus épineux et grave de la thèse révisionniste soutenue en 1985 par Henri Roque à Nantes, on n’avait pas critiqué le fond du travail de celui-ci. On avait annulé sa thèse, scandaleuse mais acceptée par un jury dûment constitué, en invoquant un vice de forme : elle n’avait pas été soutenue dans la bonne salle...

Il n’y eut donc ni audit ni communiqué, mais une belle bataille révélatrice des tensions qui agitent le petit monde des sociologues aujourd’hui, et, au-delà, l’ensemble de la communauté scientifique. Tensions créées d’abord par ce personnage manifestement contesté qu’est Michel Maffesoli. « C’est un homme très intuitif, ouvert, novateur, habile à sentir l’air du temps, juge un de ses collègues qui n’est pas impliqué dans la polémique actuelle. Il travaille sans méthode, à l’intuition, et ramasse les sujets de recherche que ses collègues n’auraient pas acceptés, ce qui est souvent intéressant. Il a le sentiment de ne pas être reconnu à sa juste valeur, ce qui le rend très critique à l’égard d’une université académique qui l’ignore et qu’il estime encroûtée. C’est plus un essayiste, un intellectuel volontiers provocateur qu’un sociologue. Mais avec la thèse de Teissier il a fait le pas de trop, et on comprend les réactions qu’il suscite. C’est en mettant l’astrologie dehors que la science s’est constituée au XVIIe siècle. Alors, la faire rentrer aujourd’hui par la petite porte... »

« On me reproche mon côté dandy, mon chapeau et mon nœud papillon », rétorque l’intéressé. Plus sérieusement, il pense qu’on ne lui a toujours pas pardonné d’avoir été élu il y a vingt ans à la Sorbonne alors que Jean-Claude Passeron, grand sociologue s’il en est et collaborateur de Pierre Bourdieu, était lui aussi candidat. « Bourdieu siégeait déjà au Collège de France, il avait un de ses fidèles à Normale-Sup et il voulait compléter le tripode par la Sorbonne. Mais au moment de l’élection Passeron n’avait pas écrit depuis quelque temps, moi, mes premiers ouvrages venaient de sortir... et j’ai été élu. » Sous-entendu : Michel Maffesoli serait depuis en butte, à quelques exceptions près - la Sorbonne, l’université de Montpellier -, à l’hostilité de ses pairs.

C’est sans doute un peu court. On lui reproche surtout ce « relativisme postmoderne » qu’Élizabeth Teissier reprend abondamment dans sa thèse et selon lequel tout peut être traité avec le même sérieux : sciences ou pseudosciences, astronomie ou astrologie. « Les intentions de ceux qui rédigent une thèse ne rentrent pas dans mon cadre d’appréciation, répond-il. L’astrologie, c’est le problème de Mme Teissier, pas le mien. »

Jean Audouze, le patron du Palais de la Découverte, s’est lancé dans la lecture de la thèse d’Élizabeth Teissier avec quelques autres. La madone de l’astrologie a de la chance. Elle a des lecteurs prestigieux : Christian Baudelot, Bernard Lahire, Jean-Claude Pecker, Jacques Bouveresse entre autres sont en train d’examiner son œuvre et rendront leur diagnostic dans quelques semaines, non pas pour remettre en question son titre de docteur qui est acquis, mais pour fournir une réponse argumentée aux thèses qu’elle défend. Jean Audouze, donc, est indigné par ce qu’il a déjà lu. « C’est pire que ce que je croyais, dit-il. Jamais je ne me serais élevé contre le fait que Mme Teissier devienne docteur en sociologie si elle avait fait un vrai travail de sociologue sur les croyances qui concernent l’astrologie. Mais je craignais, connaissant l’engagement de cette dame, qu’il ne s’agisse surtout d’une apologie de cette pseudoscience. Je n’ai lu pour l’instant qu’une centaine de pages. Elles me confortent, hélas, dans mon impression de départ. Je ne comprends pas qu’un jury de bonne foi ait pu accepter la caricature qu’elle fait de l’astronomie... »

La thèse d’Élizabeth Teissier montre en effet que cette dame n’a pas fait dans la nuance, même si elle affirme en guise de justification que « compréhension et empathie sont les vecteurs incontournables d’une certaine forme d’interprétation sociologique propre à la postmodernité ». Disons qu’elle réserve toutes ses facultés d’empathie à « l’art royal des astres » dont « la base astronomique est de l’ordre du rationnel absolu », que l’idéologie « scientiste » de ses adversaires est de l’ordre du fascisme puisqu’il convient d’en combattre la « résistible hégémonie ». On trouve rassemblées en de longs développements les « preuves irréfutables en faveur de l’influence planétaire » dont certaines, parmi les plus irréfutables sont dues aux éminentes études de M. Gunther Sachs, ex-play-boy, héritier de l’empire Opel et ancien mari de notre Brigitte Bardot nationale. On y dénonce le « rationalisme intolérant et réductionniste qui vit ses dernières heures », « l’orgueil de l’homme qui refuse le conditionnement astral », et on y salue « le retour en force de l’idée de destin »...

Est-ce cela, une thèse de sociologie ? On n’a pas fini d’en débattre. Aux dernières nouvelles, la présidence de l’université René-Descartes s’apprête à demander un droit de réponse au Monde, s’estimant diffamée par les propos de Christian Baudelot et Roger Establet, qui ont osé écrire que les contrôles universitaires n’ont pas fonctionné à l’occasion de cette soutenance de thèse. Quatre prix Nobel : Claude Cohen-Tannoudji, Jean-Marie Lehn, Jean Dausset et Pierre-Gilles de Gennes viennent d’écrire à Jack Lang pour protester contre l’attribution du titre de docteur à Mme Teissier... L’affaire est loin d’être terminée.

Gérard Petitjean

Sources : Nouvel Observateur

http://www.nouvelobs.com/epoque/epoque2_1.html


La thèse d’Élizabeth Teissier ravive la fracture au sein de la sociologie

LE MONDE : 04/05/01

La soutenance par la célèbre astrologue d’une thèse de sociologie en Sorbonne a suscité un tollé. Certains sociologues y voient le symptôme d’un dévoiement de leur discipline et ouvrent un front commun avec les rationalistes, adversaires traditionnels de l’astrologie

Élizabeth Teissier est à nouveau celle par qui le scandale arrive. L’astrologue de Télé 7jours, conseillère astrale de François Mitterrand et d’autres grands de ce monde, ancien mannequin et actrice, vient de soutenir à la Sorbonne une thèse de sociologie consacrée à la « situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes » (Le Monde du 10 avril). Ces quelque 900 pages ont aussitôt suscité une vive polémique. Les rationalistes, « attardés » selon Mme Teissier, mettent en garde contre son projet constant de réhabiliter l’astrologie à la Sorbonne, tandis que certains sociologues dénoncent un dévoiement de leur discipline.

Le sociologue Christian Baudelot (École normale supérieure), récuse ce « plaidoyer vibrant pour l’astrologie ». Le chercheur précise qu’il est parfaitement légitime de faire une thèse de sociologie portant sur l’astrologie, « y compris écrite par une astrologue ». Il lui semble tout aussi légitime qu’une astrologue fasse, par ailleurs, l’apologie de l’astrologie. Mais, en l’espèce, « c’est un scandale monumental que de laisser entendre qu’il s’agit de sociologie », s’insurge-t-il.

Comment dans ce cas Élizabeth Teissier a-t-elle pu défendre avec succès sa thèse, face à un jury composé de sociologues ? L’impétrante a suivi un cursus qui n’a rien d’inhabituel. Née en 1938, titulaire d’un diplôme d’études supérieures en littérature obtenu à la Sorbonne, avant la réforme des études supérieures, elle a pu s’inscrire directement en DEA de sociologie, en 1992, auprès du Centre d’études sur l’actuel et le quotidien (CEAQ), dirigé par le sociologue Michel Maffesoli, qui acceptera son projet de thèse. Comme le rappelle Odile Piriou (Laboratoire de sociologie du changement des institutions), un tel parcours est banal : un tiers des thésards en sociologie ont auparavant exercé une autre profession, et parmi eux 42 % choisissent un thème « directement rattaché à leur activité » (Le Monde du 2 mai).

« UNE DAME DE CARACTÈRE »

La soutenance elle-même est intervenue au terme du processus classique : la thèse a d’abord fait l’objet de deux rapports préalables, établis par Patrick Tacussel et Patrick Watier - dont les thèses d’État furent dirigées par Michel Maffesoli. Le vice-président de l’université a ensuite donné son feu vert. Les membres du jury, sollicités par le directeur de thèse, ne remettent en principe pas en cause l’attribution du titre, mais jouent sur la mention - en l’occurrence, « très honorable », sans félicitations.

Michel Maffesoli, que beaucoup de ses collègues considèrent comme un franc-tireur et un stakhanoviste - il a dirigé quarante-neuf thèses entre 1989 et 1995 - a-t-il dérapé en acceptant de diriger Élizabeth Teissier, qui, ayant l’oreille de François Mitterrand depuis 1989, bénéficiait des plus hautes recommandations ? « Continuellement, j’ai essayé de la cadrer, d’orienter sa thèse vers des investigations sur la pratique de l’astrologie et non pas sur sa scientificité, explique-t-il. C’est une dame de caractère et je n’y suis pas toujours arrivé. Peu importait, car je savais que, une fois qu’elle avait produit le minimum requis pour une thèse, les 400 bonnes pages, les écarts et manques ne seraient pas graves : comme elle ne devait pas postuler pour un poste ni même « monnayer sa thèse dans un emploi », je pouvais tolérer des écarts. »

Il est cependant douteux qu’un chercheur qui se qualifie volontiers de « renifleur du social » n’ait pas anticipé l’impact médiatique de la thèse de Mme Teissier. A-t-il voulu, à cette occasion, s’imposer comme chef de file de la sociologie « compréhensive » qu’il préconise ? Cette approche, qui considère que l’implication personnelle du sociologue n’est pas un obstacle à une analyse pertinente, s’oppose, depuis l’origine de la sociologie, à un courant qui, pour faire vite, a pour ambition d’étudier les faits sociaux comme des objets.

Ces dernières années, la sociologie du quotidien a le vent en poupe, mais est devenue le théâtre d’une vive concurrence entre les deux approches, note Bernard Valade, professeur de sociologie à Paris-V. S’il juge « malencontreux » que la sociologie s’« enrichisse » d’une thèse qui, selon lui, « comporte des développements tout à fait superflus qui s’attachent à fonder l’astrologie comme une science », il n’exclut pas que la réaction de défiance vis-à-vis de Michel Maffesoli soit aussi sous-tendue par des querelles de personnes : « Les mètres carrés et les crédits sont chichement distribués... » Michel Maffesoli n’a pas que des ennemis. Le philosophe Jean Baudrillard propose de renvoyer ses « détracteurs étranges », tenants de la rationalité scientifique, « à leur phantasme intégriste et disciplinaire, et rejeter sans appel leur prétention à s’ériger en tribunal des mœurs intellectuelles. »

UNE LETTRE À JACK LANG

En face, on assiste à la formation d’un front commun inédit : les rationalistes de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), pas toujours tendres envers les sciences humaines - notamment la psychanalyse - se sont rapprochés de sociologues pour faire une lecture critique de la thèse. L’astrophysicien Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France et président de l’AFIS, indique que quatre Prix Nobel, Claude Cohen-Tannoudji, Jean-Marie Lehn, Jean Dausset et Pierre-Gilles de Gennes, doivent adresser des lettres de protestation à Jack Lang, ministre de l’éducation nationale. Le physicien Jean Bricmont, futur président de l’AFIS, voit, lui, dans l’« affaire Teissier » un pendant de l’« affaire Sokal », lancée par son collègue américain Alan Sokal, qui avait réussi en 1996 à publier dans la revue américaine Social Text un texte parodiant le jargon des sciences sociales. « Sauf qu’ici il ne s’agit pas d’un canular », indique-t-il, condamnant « la tendance au relativisme des sciences sociales, qui se focalisent constamment sur les rapports de forces sociaux en ignorant les bases de la démarche empirique en science ».

Quant à Élizabeth Teissier, elle « bouillonne » de ne pouvoir prendre part aux débats tant que son titre de docteur n’est pas dûment validé. Mais elle a sans conteste atteint son but : faire parler de l’astrologie.

H.M.


Les rares expériences statistiques contredisent les conclusions de l’astrologue

Vendredi 4 mai 2001 (LE MONDE)

EN ANNEXE de sa thèse, Élizabeth Teissier énumère « quelques preuves irréfutables en faveur de l’influence planétaire « qu’elle porte « au crédit de l’astrologie « . Elle cite l’influence de la Lune sur les huîtres, sur la « folie cyclique « , le cycle menstruel ou le sexe des enfants, celle de Saturne sur le sulfate de plomb, ainsi que des études statistiques donnant « des résultats tout à fait probants, une fois éliminés les astrologues incompétents « . Élizabeth Teissier cite à douze reprises les travaux du statisticien Michel Gauquelin, lequel aurait montré une influence astrale sur le choix des professions. Elle regrette que Michel Gauquelin, sceptique à l’origine, ait cherché à échapper, « par une interprétation dissidente, à sa récupération par l’astrologie « .

Les rationalistes de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) ont une interprétation différente des travaux du statisticien. Ils rappellent, dans leur revue Science et pseudo-sciences, qui commente la soutenance de la thèse de l’astrologue, que l’« effet Mars « , testé sur un échantillon de 1 000 sportifs, selon un protocole accepté par Michel Gauquelin et publié dans Science et Vie, n’a pas permis de mettre en évidence une quelconque « influence des astres « . Élizabeth Teissier n’y fait pas référence. Au reste, les rationalistes peuvent avancer autant d’études statistiques donnant des résultats défavorables à l’astrologie - notamment celle conduite par Michel Gauquelin lui-même et montrant que 94 % des individus peuvent se reconnaître dans l’interprétation d’un même horoscope dressé par ordinateur, en l’occurrence celui... du docteur Petiot, criminel en série guillotiné en 1946 pour vingt-sept assassinats.

Comme le notent les astronomes François Biraud et Philippe Zarka, de l’observatoire de Paris-Meudon, qui ont rédigé une sorte de vade-mecum à l’attention de leurs collègues qui souhaiteraient disposer d’arguments solides contre l’astrologie, peu d’études statistiques respectent à la lettre les critères d’une évaluation scientifique indiscutable, à savoir « définir rigoureusement le protocole expérimental avant l’expérience et s’y tenir, vérifier le caractère significatif des résultats obtenus, s’engager à publier tous les résultats obtenus, clairement et sous contrôle « . La seule étude répondant, à leur sens, à tous ces critères date de 1985. Publiée par la revue Nature, elle a été réalisée par Shawn Carlson, un physicien de l’université de Californie à Berkeley, qui voulait tester l’hypothèse astrologique selon laquelle la position des astres au moment de la naissance permet de déterminer les traits généraux de la personnalité (Le Monde du 19 février 1986).

LES ASTRES ONT RAISON PAR HASARD

L’originalité de l’étude réside dans le fait que Shawn Carlson en avait conçu le protocole en accord avec une organisation d’astrologues, le National Council for Geocosmic Research (NCGR). Dans la première partie de l’expérience, les sujets devaient discerner parmi trois interprétations de thèmes astraux, dont le leur, celui qui leur correspondait, et faire de même parmi trois profils psychologiques dressés à partir du California Personality Inventory (CPI), un test de personnalité. Dans les deux cas, ils ont trouvé la bonne réponse une fois sur trois, soit le résultat d’un simple tirage au hasard. Élizabeth Teissier juge ce résultat « un peu léger et pas très convaincant « . De fait, Shawn Carlson note que cela ne remet pas en cause l’astrologie, mais la capacité des sujets à reconnaître leur propre personnalité.

En revanche, la seconde partie de l’expérience est plus cruelle : elle consiste à demander à des astrologues, auxquels on fournit la carte du ciel d’un sujet, d’identifier, parmi trois portraits dressés par le CPI, celui qui correspond au profil psychologique dicté par les astres. Les astrologues assuraient pouvoir trouver la bonne réponse dans au moins 50 % des cas. Ils n’y parvinrent qu’une fois sur trois, comme prévu par le pur hasard. « L’expérience réfute clairement l’hypothèse astrologique « , conclut Shawn Carlson. Mais Élizabeth Teissier balaie ce verdict : « Pour juger d’une science multimillénaire, il fallait une référence d’airain, absolue « , que n’est pas, selon elle, le CPI, pourtant accepté par la NCGR, une association astrologique qui, concède-t-elle, est « mondialement connue et respectée « .

H. M.


La croyance des Français dans les parasciences est stable

Vendredi 4 mai 2001 (LE MONDE)

ÉLIZABETH TEISSIER croit discerner dans notre société postmoderne « un intérêt croissant pour les astres « - une conviction qui s’appuie sur sa pratique mais aussi sur l’affirmation que nous serions dans une « période de transition entre l’ère des Poissons et l’ère du Verseau « . Il ne semble pourtant pas, au regard des études d’opinion - dont Élizabeth Teissier conteste la fiabilité - que l’astrologie ait fait une réelle percée récente dans la population française.

Daniel Boy, directeur de recherches au Centre d’études de la vie politique française, souligne ainsi la relative stabilité des croyances aux parasciences depuis 1982, date à laquelle la Sofres a commencé à prendre ce paramètre en considération. Les cinq enquêtes réalisées depuis lors - dont la dernière, conduite auprès de 1 000 personnes de plus de dix-huit ans, date de novembre 2000 -, montrent qu’environ un tiers de la population croit à l’explication des caractères par les signes astrologiques, tandis qu’un quart donne crédit aux prédictions fournies par les horoscopes. Les Français croient plus volontiers aux guérisons par imposition des mains (50 % environ) et à la transmission de pensée (entre 40 et 55 %).

LES FEMMES MOINS SCEPTIQUES

Un des paradoxes mis en évidence par ces sondages est que l’intérêt pour la science est corrélé positivement au degré de croyance aux parasciences. « Contrairement à ce que laisserait présager une vision positiviste des choses, l’amour de la science ne détourne pas des « fausses sciences « « , écrit Daniel Boy. De même, la frange de la population ayant un degré de connaissances scientifiques « très faible « est en moyenne moins « crédule « que celle ayant un niveau de connaissance « très bon « . Les sondages révèlent aussi que les parasciences ne se sont pas développées « en réaction ou contre l’institution scientifique « .

L’analyse par structure sociodémographique montre que les croyances aux parasciences sont plus ancrées chez les femmes - c’est aussi le cas pour l’astrologie, où on note des écarts dépassant 10 % avec les hommes. Les moins de quarante-neuf ans croient également plus souvent aux parasciences, tout comme les couches moyennes. C’est particulièrement le cas chez les employés, où les femmes sont surreprésentées, et les inactifs. La dernière enquête confirme aussi que les croyances sont moins présentes chez ceux qui n’ont pas dépassé l’enseignement primaire et, « à l’autre extrême, parmi les niveaux d’études supérieures scientifiques « . Autre constante, une pratique religieuse régulière semble prémunir relativement contre ce type de croyances, « tout comme un ancrage dans l’irréligiosité « .

Le point commun entre les femmes, les jeunes, les classes moyennes et les non-pratiquants ? « Peut-être la difficulté à maîtriser son avenir « , avance le chercheur. A l’inverse, la sortie de la crise économique et la remontée de l’optimisme qui l’accompagne semblent provoquer, dans le dernier sondage, un léger fléchissement des croyances. « Mais l’hypothèse reste à vérifier « , prévient Daniel Boy.


Trois questions à Marianne Doury

Vendredi 4 mai 2001 (LE MONDE)

Linguiste au CNRS, vous avez étudié l’argumentation sur les parasciences, à travers notamment des débats télévisés au début des années 1990. Qu’est-ce qui caractérise ces échanges entre les tenants des pseudosciences et les rationalistes ?

Ces débats sont marqués par une asymétrie fondamentale qui joue en faveur des parasciences, grâce à des mécanismes argumentatifs récurrents. Le premier s’appuie sur une asymétrie des compétences : les parascientifiques en sauront forcément plus que les rationalistes sur leur discipline, et peuvent les disqualifier comme non compétents. D’autant que toutes les parasciences ne revendiquent pas le statut de science. L’autre asymétrie porte sur les arguments : prouver que quelque chose n’existe pas est beaucoup plus difficile, et moins spectaculaire, que de prétendre que ça existe. Soit les rationalistes s’en tiennent au discours pamphlétaire, à des accusations très générales, invoquent les mânes de Descartes. Soit ils entrent dans les détails, au risque de s’y perdre, car une argumentation valide n’est pas forcément efficace. En face, on recourt à l’appel à Galilée : les parascientifiques se présentent en situation de martyrs face au dogme, face à l’inquisition scientifique. C’est une stratégie que l’on retrouve dans l’astrologie, la parapsychologie, ou encore lors de l’affaire de la mémoire de l’eau.

Votre livre sur ce thème s’intitule Le Débat immobile (éditions Kimé, 1997) comme si les positions des protagonistes étaient figées à jamais...

Lorsqu’on lit « De la divination « de Cicéron, on retrouve mot pour mot certains des arguments utilisés aujourd’hui. Le débat est structuré autour de quelques lignes de force quasi immuables, même si, à ses franges, des considérations religieuses ou historiques modulent les positions au fil du temps. La seule chose qui ait évolué récemment, c’est la prise de conscience par les rationalistes des difficultés qu’ils ont à contrer les parasciences. Ils commencent à identifier les grosses bourdes à éviter pour ne pas avoir le dessous d’emblée lors de confrontations publiques, en particulier télévisées.

La thèse de sociologie soutenue par Élizabeth Teissier ne va-t-elle pas leur compliquer encore la tâche ?

Cette thèse va à coup sûr servir la stratégie de recherche d’alliés. Dans le débat sur l’astrologie, le fait que certains membres de la communauté universitaire soient favorables à l’astrologie permet aux défenseurs de l’astrologie de contrer le discours des rationalistes, qui suggèrent que la communauté scientifique fait bloc de manière unanime face à ce qu’ils considèrent comme des manifestations d’obscurantisme. Il est évident qu’Élizabeth Teissier pouvait plus facilement trouver un titre universitaire, symbole de l’appartenance à une communauté, du côté de la sociologie plutôt que de celui des sciences dures. Les arguments déployés par les astronomes pour dénoncer cette thèse de sociologie s’en trouvent affaiblis, puisqu’ils ne sont pas sociologues. Quel que soit le bien-fondé de leurs critiques, leurs efforts pour la décrypter seront sans effet dans le débat social sur l’astrologie.

Propos recueillis par Hervé Morin

Source : Le Monde

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3244--179902-,00.html


LE MONDE 30.04.01

La sociologie, astrologie des sciences sociales ? par Jean Copans

MADAME TEISSIER, astrologue de métier et fort réputée, paraît-il, dans son domaine, a donc soutenu une thèse de doctorat mention sociologie dans mon université (René-Descartes-Paris-V), sous la direction d’un collègue de mon partement de sciences sociales, le professeur Michel Maffesoli. Mais cette tenance, qui a déjà fait par deux fois la « une » du Monde, est-elle bien le scandale que dénoncent Roger Establet et Christian Baudelot (votre page Débats du 18 avril) ?

C’est une « thèse » d’astrologie et non de sociologie. Mais toutes les thèses de sociologie (d’histoire, de biologie, etc.) sont-elles bien des thèses de sociologie (d’histoire, de biologie, etc.) ?

La thèse est-elle bien le meilleur médium de l’initiation à la démonstration scientifique professionnelle ? Dans les sciences de la vie et de la matière, ce n’est pas le cas. Pourquoi tant défendre la thèse en sociologie ? En l’absence d’enquête de sociologie de la connaissance, justement, le doute me saisit (et il m’a saisi sur ce point depuis fort longtemps). D’autant que mes collègues critiques ne l’ont pas lue et que l’astrologie vue de l’intérieur a peut-être au moins valeur d’un témoignage de première main. N’y a-t-il pas des affaires bien plus scandaleuses, où la vigilance sociologique est, depuis longtemps, en défaut ? Trois chantiers pourraient mobiliser plus utilement mes collègues.

Le premier point porte sur le droit et le devoir de la critique théorique et éthodologique. M. Maffesoli dirige des thèses, des revues et des publications. Il écrit beaucoup et ses œuvres sont en livre de poche (comme ceux de ses deux critiques). Si scandale il y avait, il serait plutôt dans ce silence des critiques de fond, silence bien français qui veut qu’il y ait fort peu de « lettre à l’éditeur » ou de compte rendu polémique dans nos périodiques sociologiques.

Si ce collègue a pu se rendre coupable d’une telle dérive professionnelle, les dispositions à se comporter ainsi sont sûrement bien anciennes, et il fallait depuis longtemps lui faire comprendre que sa sociologie n’avait rien de scientifique et de respectable, lui interdire de diriger des doctorats pour que ses points de vue ne « polluent » pas nos chères têtes blondes.

Je ne suis pas là pour défendre de quelque façon ce collègue - il sait s’y prendre tout seul (page Débats du Monde du 24 avril) -, mon néo-marxisme et mon domaine de spécialisation, les classes ouvrières d’Afrique noire, étant à des milliers d’années-lumière de sa sociologie compréhensive et de ses thématiques tribales et dionysiaques. Mais quand je ne suis pas d’accord avec le fond d’une recherche sociologique ou ethnologique, je le dis, je l’enseigne, je l’écris et... j’ai des ennuis !

Le deuxième point porte sur la sociologie des études doctorales et des processus de soutenance. J’ai dans ma mémoire des affaires bien plus scandaleuses que le happening maffesolien. Que penser du refus très récent d’une des grandes universités parisiennes d’autoriser une soutenance d’habilitation en sociologie sous prétexte que le dossier (tout à fait remarquable et soutenu depuis dans un autre établissement aussi prestigieux) ne ressemblait pas à ce qu’en attendaient les collègues responsables de l’autorisation mais nullement sociologues ?

Que faut-il dire des conditions dans lesquelles des collègues économistes ont accordé il y a plus de vingt ans le titre de docteur à un Ivoirien devenu par la suite président de la République (et accepté ultérieurement de publier ce travail) ? Que dire des collègues qui ont « doctorisé » récemment une recherche ethnologique portant sur la pratique de voyante extra-lucide de la mère et de la sœur du doctorant-chercheur, texte qu’on peut acheter aujourd’hui dans toutes les bonnes librairies ?

Ayant occupé successivement toutes les fonctions de « contrôle » énumérées par mes collègues, je puis noter quant à moi l’absence totale de sociologie de la preuve doctorale. Il y a plus de 10 000 thèses de doctorat soutenues chaque année en France, toutes disciplines confondues. Où sont les recherches sociologiques des spécialistes de l’éducation ou de l’organisation sur ce vaste phénomène social ? Je serais prêt à parier que ce domaine est l’objet d’un refoulement puissant chez les sociologues. Alors, dans le monde réel mais interlope des fausses directions, des fausses thèses et des faux docteurs, l’affaire du doctorat de Mme Teissier me paraît bien anecdotique.

En fait, l’astrologie n’est pas là où on la croit. C’est la sociologie (et de plus en plus l’ethnologie) qui a « astrologisé » ses compétences pour un plat de lentilles ! Depuis vingt ans, ces deux sciences sociales se sont vendues aux pouvoirs, aux administrations et aux médias qui nous gouvernent pour expliquer (et, sous-entendu, prévoir) le présent et le futur proche.

Que feraient les sociologues si tous les ministères (y compris ceux de

l’intérieur et de la défense), les conseils municipaux, les conseils généraux et régionaux, les grandes entreprises publiques et privées n’insufflaient pas des financements significatifs pour ausculter le mal de vivre des banlieues, des familles, des jeunes, des vieux, des élèves, des étudiants, des chômeurs, des malades, des infirmières, des travailleurs intérimaires, des détenus, des travailleurs sociaux, des policiers, des enseignants, etc.

Les sciences sociales courent maintenant après l’actualité, lorsqu’elles ne cherchent pas à la devancer. Elles sont devenues des assistantes sociales et limentent comme une rubrique astrologique « nouvelle manière ». Il ne se passe pas une semaine sans que Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur ne publient des « rebonds », des tribunes libres, des opinions ou de brefs entretiens avec des spécialistes, parfois des chercheurs en cours de doctorat (ce qui n’a rien de répréhensible ici) sur un quelconque « grave » problème de notre Hexagone. La sociologie et l’ethnologie française ont maintenant, comme le dit l’expression populaire, les yeux sur le guidon. J’en veux pour preuve la désertion des terrains du vaste monde, à commencer par ceux de nos voisins d’Europe.

Pour évoquer les thèmes, pourtant à la mode, du développement et de la mondialisation, les seuls textes significatifs aujourd’hui en langue française nous proviennent d’historiens, de géographes, d’économistes ou encore de politologues. La sociologie française, si brillante sur ces terrains dans les années 1950-1980, n’a plus rien à dire, et je comprends fort bien mes étudiants qui s’éloignent de ces thématiques car, même avec le meilleur des dossiers, ce qu’attendent mes collègues qui vont les recruter, ce sont des thèmes comme « Les incivilités dans le 93 », « Mon portable, mon ordinateur et ma belle-fille », ou « L’interculturel entre la rue des Rosiers et le quartier de la Rose ». Bref, les producteurs d’astrologie sont plutôt chez nous. La sociologie française est en train de redevenir une espèce de psycho-sociologie individualisante, bien dans l’air du temps libéral. Christian Baudelot et Roger Establet, qui nous ont tant aidés à comprendre la France des années 1970-1990, semblent s’inquiéter de la perte des repères théoriques et du peu de conscience déontologique et sociologique d’un certain nombre d’enseignants-chercheurs. Mais hélas, l’astrologie est déjà dans nos murs, et pas seulement dans un doctorat dirigé par Michel Maffesoli !

Jean Copans, ancien président de la section 19 (sociologie-démographie) du CNU, est professeur de sociologie à l’université René- Descartes - Paris-V.

Source :Le Monde : http://www.lemonde.fr/imprimer_article/0,6063,177790,00.html


LE MONDE 30.04.01

Banalité d’ÉlizabethTeissier, par Odile Piriou

AU-DELÀ de ce qui semble bien se dessiner comme une tartufferie contre laquelle on peut réagir, l’« affaire Teissier » permet d’énoncer des enjeux sous-jacents autrement stratégiques.

L’un a trait à la lutte entre les héritiers d’une sociologie positiviste et durkheimienne et les défenseurs d’un contre-courant antipositiviste plutôt phénoménologique, revendiqué par Michel Maffesoli.

Les premiers traiteraient objectivement les faits sociaux « comme des choses » dans une démarche armée de connaissances et de techniques scientifiquement reconnues.

Les seconds, reconnaissant une égale valeur aux cadres de la connaissance scientifique et profane, privilégieraient le vécu, sans trop s’embarrasser de rigueur méthodologique.

Finalement, aucune école n’a jamais réussi à s’imposer comme modèle exclusif de la discipline. La résurgence de ce vieux débat est peut-être le signe d’un dynamisme intellectuel. Mais il renvoie aussi à l’enjeu du renouvellement de questions plus corporatistes concernant l’organisation de la sociologie comme profession, au contrôle de l’accès au métier.

Or, à la différence de la philosophie ou de la psychologie, la sociologie s’est toujours défendue d’une orthodoxie conduisant à une trop grande normalisation et une fermeture professionnelles. Les attaques portées contre la légitimité du titre de docteur accordé à Élizabeth Teissier conduisent à nuancer cette position.

La recherche récente que j’ai publiée sur les docteurs en sociologie montre, en fait, que cette dame est finalement très représentative des thésards de cette discipline.

Ces docteurs viennent d’horizons universitaires divers : 54 % ont obtenu un ou plusieurs diplômes avant de s’inscrire en sociologie. La moitié sont entrés directement en DEA ou en thèse de sociologie. Parmi ces « convertis », beaucoup sont devenus des universitaires, dont ceux qui, aujourd’hui, demandent des comptes à Élizabeth Teissier sur son entrée tardive en sociologie.

Outre la diversité de ces origines universitaires, une proportion non négligeable de docteurs, presque un tiers, viennent en sociologie après avoir exercé un autre métier ou dans le cadre d’un congé formation. Parmi eux, on recense des séminaristes, des professionnels du secteur associatif, de la santé, du travail social, des inspecteurs de l’éducation nationale, des artistes, des policiers... Ils sont depuis peu rejoints par une astrologue.

Par ailleurs, le choix des sujets de thèses de sociologie est effectivement souvent lié à la trajectoire professionnelle de l’impétrant. La plupart des professionnels qui viennent tardivement en sociologie, 42 %, choisissent des thèmes directement rattachés à leur activité. La filière d’emplois dans laquelle travaillait le thésard (avant d’entreprendre ses études ou parallèlement à celles-ci) l’invite à définir une stratégie à visée professionnelle. Le but est de valoriser cet itinéraire, de maximiser la réussite de la thèse, de trouver dans ce diplôme un mérite symbolique, une homologation de responsabilités professionnelles, la possibilité d’améliorer sa pratique. On ne peut pas, non plus, complètement s’interdire d’envisager que ces professionnels soient aussi des personnes passionnées de sociologie ou de sciences sociales.

Il ne faut pas que les critiques des sociologues exercées à l’encontre d’Élizabeth Teissier et de Michel Maffesoli obvient la question plus large de conséquences de l’organisation de la sociologie en profession. Car l’« affaire Teissier » renvoie aussi aux a priori normatifs qui constituent les modèles de référence sociologique et professionnel à partir desquels se construit la discipline.

L’application de règles trop rigides d’admission et de formation pourrait limiter le type d’intérêt tardif qui constitue un mode important des motivations d’entrée dans la discipline et qui, selon Evrett Hughes, célèbre sociologue, a donné à notre discipline « beaucoup de nos meilleurs sociologues ».

Les critiques formulées à l’encontre de la thèse soutenue par Élizabeth Teissier ne doivent pas conduire les sociologues à se crisper sur une conception limitant les phénomènes sociologiques à des faits indépendants des subjectivités, chosifiés et inertes. Elles ne doivent pas non plus aboutir à une illusion scientiste, établissant une rupture entre la démarche savante, pure et désintéressée, et la démarche profane, demi-savante ou ingénieuriale. Cette attitude exclut de fait un nombre important de sociologues formés en sociologie qui ne deviendront jamais universitaires ou chercheurs au CNRS.

Enfin, les sociologues doivent prendre en compte la réalité du public entrant en sociologie, les profils de ses diplômés et les modalités d’accès au titre. Les reproches qu’ils formulent à l’encontre d’Élizabeth Teissier, son entrée en 3e cycle, son profil iconoclaste, pourraient être adressés à beaucoup d’autres docteurs. S’ils exigent que sa thèse soit réexaminée, ils prennent le risque de favoriser le jeu de pouvoir mandarinal. Un patron, en lutte avec un concurrent ou jugeant une thèse trop dérangeante, exigera à son tour son réexamen ou son annulation. Il faut être prudent : Élizabeth Teissier pourrait devenir le pion qu’on avance en surface pour régler des affaires plus souterraines, relevant des querelles de chapelle ou des jeux de pouvoir entre « grands » de la sociologie. Les impétrants sociologues savent combien ces jeux d’acteurs peuvent être déshonorants et dangereux pour eux.

Odile Piriou est chercheuse au Laboratoire de sociologie du changement des institutions (LSCI-Iresco).

Source : Le Monde http://www.lemonde.fr/imprimer_article/0,6063,177792,00.html


Élizabeth Teissier - Bagatelle à la Sorbonne

Webdo L’illustré 11 avril 2001

En soutenant avec succès une thèse de sociologie, l’astrologue se rapproche de son but : se prévaloir bientôt du titre de docteur, pour la plus grande gloire de sa « science » et de son ego.

Par Philippe Clot, photos Claude Gluntz

Après deux heures de soutenance de thèse, il était temps pour Élizabeth Teissier de se refaire une beauté.

Ah ! il fallait la voir, Élizabeth, à la sortie de sa soutenance de thèse, samedi après-midi à la Sorbonne. Aux anges ! Enfin docteur ! Ou presque. Car, attention, jusqu’à ce que la procédure soit terminée, l’astrologue est tenue à un devoir de réserve, sous peine d’être privée, avant même de l’avoir obtenu, d’un titre pour lequel elle a beaucoup payé de sa personne. Pensez... plus de 900 pages de « pondues », comme elle dit elle-même élégamment, c’est tout de même plus considérable que les douze paragraphes d’un horoscope. Ce scénario catastrophe, renforcé encore par l’annonce de démarches hostiles de professeurs outrés par ce qu’ils considèrent comme une farce, gâche un peu le triomphe sans complexe de l’ancienne mage de Mitterrand. Mais sa proverbiale pugnacité et son solide carnet d’adresses auront sans doute raison de ces ultimes embûches.

Il fallait les voir aussi, les disciples de la dame, venus la soutenir dans un antre du savoir si cruel à l’égard de leur « science » et hobby de prédilection. Rappelons en effet que la vieille université a banni l’interprétation du ciel de ses amphithéâtres il y a plus de trois siècles déjà. Autant dire qu’à côté du remugle des eaux de toilette de luxe flottait aussi comme un parfum de revanche. Obséquieux jusqu’à l’étouffement, costumés, maquillés, liftés, bijoutés selon les critères d’un Tout-Paris caricaturalement obsolète, ces astrophiles se comportèrent parfois de manière décalée par rapport aux sobres usages académiques. C’était Ubu à la Sorbonne. C’était la Ville Lumière se muant en hameau semi-mondain. Sous les lambris dorés de la salle de conférence, les portraits monumentaux de Descartes, Molière, Pascal et autre Racine devaient tous s’offrir, derrière leur sourire figé, une inédite pinte de bon sang.

Vibratissimo

Car une fois tout le monde installé pour le spectacle, il fallut bien écouter ces débats, qui commencèrent moderato avant de s’achever vibratissimo, comme on le verra plus tard. La mise en bouche consista, selon la tradition académique, en une lecture de texte d’une vingtaine de minutes par la vedette du jour. Cette synthèse du sujet (intitulé, rappelons-le, Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes) pouvait encore vaguement faire illusion, notamment grâce à un arsenal lexical universitaire héroïquement rassemblé : et que je t’inflige à la pelle des « paradigmes », des « diachroniques », des « archétypal ». Et que je te balance gratuitement des germanismes (Fremd pour étranger, Geistwissenschaften pour sciences de l’esprit) afin de faire philosophique.

Mais après, ça s’est gâté, déglingué, liquéfié... En premier lieu grâce à un jury pathétique. Oui, il fallait les entendre ces profs réduits au nombre de quatre au lieu de six pour cause (officielle du moins) de grève des chemins de fer. Il fallait écouter leurs commentaires « savants », leurs ratiocinations, leurs critiques feutrées. L’un d’eux fut particulièrement bas en se confondant systématiquement en excuses avant chacune de ses objections. Ce brave fumeur de pipe n’avait sans doute pas l’habitude d’un auditoire si prompt au murmure réprobateur dès la moindre pique contre les prétentions scientifiques de l’astrologie.

« Magie naturelle »

En effet, de la neutralité scientifique revendiquée par cette thèse, on passa vite à l’apologie pure et dure. Et ce d’autant plus que le moins servile des quatre jurés s’est gentiment énervé à la fin du spectacle en rappelant qu’entre la lecture du marc de café et l’interprétation du ciel, il ne voyait pas de différence, qu’il ne s’agissait dans les deux cas que de « magie naturelle ». Énervement logique de Mme Teissier, qui clora en beauté ses laborieuses réponses par une description de l’Univers, dont « l’ultime réalité » serait « vibratoire », d’après des physiciens de sa connaissance. Cette « ultime réalité » ouvrant à l’astrologie un statut de superscience écrasant toutes les fadaises positivistes. Voilà. C’était tout. Ou presque.

Quelques minutes de délibération suffirent au jury à octroyer à Germaine Élizabeth Hanselmann le titre de docteur en sociologie avec la molle mention « très honorable ». Protestation de la lauréate qui rappelle au président du jury que son vrai nom serait, assez paradoxalement à notre sens, son pseudonyme de Teissier.

Un jury piégé

A la sortie, deux membres du jury, une philosophe pincée et l’amateur de bouffarde, commençaient seulement à se rendre compte du piège dans lequel ils avaient foncé tête baissée. Une collègue, assez vacharde, finissait d’anéantir la philosophe : « Mais tu te rends compte que tu risques de finir dans Paris Match à côté d’une photo de Teissier en nuisette ? » Et l’éventuelle future victime de son propre aveuglement de gémir et de bégayer, au bord de l’hystérie : « Mais c’est pas possible. C’est pas possible. Et le droit à l’image ? » Le prof de Montpellier affectait de son côté de rester zen, mais tirait plus fort que jamais sur sa pipe.

Le soir même de son triomphe, l’heureuse candidate offrait comme il se doit une party dans un grand hôtel parisien. Aïe ! Moins de monde que prévu. Il fallut escamoter quelques tables vides. Et en terme de prestige, c’était pas le top : il fallait se rabattre sur Line Renaud, qui en profitait d’ailleurs pour promouvoir une marque de champagne portant son nom. On n’en était plus à une bulle près...

Tels furent donc les faits saillants de cette bagatelle, face à laquelle on hésita tout d’abord entre le rire et les larmes, avant de se raviser, et d’opter finalement pour la seule attitude adéquate : l’indifférence.

Source : Webdo L’illustré The Times MONDAY APRIL 09 2001


Outrage at honour written in the stars

FROM ADAM SAGE IN PARIS

ÉLIZABETH TEISSIER was on a safe bet when she forecast that the intelligentsia would be outraged if her work was ever recognised by a doctorate.

France’s most famour astrologer, who advised François Mitterrand on matters of state, was duly made a doctor of sociology by the Sorbonne in Paris this weekend for her 900-page thesis analysing the scornful approach of French highbrows to the study of astral vibrations.

The reaction was predictable. As Mme Teissier underwent an oral examination in a room adorned by portraits of Pascal and Descartes, Professor Christian Cabrol, the heart surgeon, shouted : “It’s a major farce” before storming out and slamming the door shut behind him.

After a 2½-hour debate, the Sorbonne jury commended Mme Teissier, 63, but baulked at the idea of making her a doctor of astrology : instead she was made doctor of sociology. “I’m delighted and relieved,” she said. “It’s been like giving birth.”

She had done her best to impress the jurors, giving her thesis the most erudite of titles : “The epistemological situation of astrology through the ambivalence fascination/rejection in postmodern societies”. In practice, this boiled down to an attack on what she said were the short-sighted and condescending academics who had failed to grasp the significance of her art.

She said : “It has been relegated the role of a barbarous and pariah subject.”

Source : The Times
http://www.thetimes.co.uk/article/0,,2-111774,00.html