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Retour sur « Cash Investigation : fruits et légumes »

Publié en ligne le 4 juillet 2020 - Science et médias -

Ce texte est une adaptation pour Science et pseudo-sciences des extraits d’un article plus détaillé mis en ligne sur le site de l’Académie d’agriculture de France [1].

À l’automne 2016, j’avais été scandalisé par un documentaire diffusé sur France 5 déclarant que,  « au cours des cinquante dernières années, les aliments ont perdu jusqu’à 75 % de leur valeur nutritive… et il faut cent pommes actuelles pour le même apport de vitamine C qu’une seule pomme ancienne, et vingt oranges au lieu d’une pour l’apport de vitamine A ». D’autres exemples étaient cités, montrant que la plupart des aliments s’étaient  « vidés de leurs micronutriments ». Largement reprise par les médias, cette déclaration était un véritable plaidoyer en faveur du « c’était mieux avant ».

J’ai eu l’idée de comparer, pour les aliments les plus courants, les valeurs récentes des tables de composition telles que celles mises à jour par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) [2] avec celles des tables anciennes de Randoin et de ses collègues. L’édition de 1947 existait dans les archives de l’Académie d’agriculture et j’ai trouvé celle de 1981, plus complète et actualisée, chez un libraire spécialisé. J’ai donc procédé à cette comparaison et rédigé une tribune publiée en 2017 dans la Revue de l’Académie d’Agriculture puis, sous un format plus condensé, dans Sciences et pseudo-sciences [3].

Par la suite, j’ai été sollicité par une personne ayant lu mon article et qui se déclarait intéressée par des comparaisons sur des espèces ne figurant pas dans mon tableau, me demandant alors de lui prêter les tables de 1981. Ce que j’ai fait. Elle ne m’avait pas révélé qu’elle travaillait pour la société de production de « Cash Investigation ».

Et le 18 juin 2019, France 2 diffusait son documentaire intitulé « Moins de goût et de nutriments : les fruits et légumes, c’était mieux avant » dans le magazine « Cash Investigation » intitulé « Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes ».

Dans une courte séquence d’une minute en début d’émission, sur trois heures d’un tournage prétexte dans la bibliothèque de l’Académie d’agriculture, la réalisatrice fait semblant de découvrir une « pépite », alors qu’il s’agissait de l’exemplaire de 1981 des tables de composition que je lui avais prêté. En voix off, il est dit que l’équipe de réalisation du reportage aurait alors eu « l’idée simple » de comparer les tables anciennes et récentes de composition des aliments… alors que j’avais eu cette idée près de trois ans plus tôt et qu’il s’agissait de l’objet de mon article publié en 2017 et connu de la réalisatrice. Pourquoi l’origine de ce prêt de document ancien et l’existence de mon article sur ce sujet n’ont-elles pas été évoquées dans le documentaire ?

Toujours en voix off, il est précisé qu’ « en France, nous n’avons trouvé aucun scientifique pour nous parler de cette baisse des teneurs… » et que la journaliste a dû aller interroger un chercheur américain. Surprenant ! Faut-il en déduire que mes conclusions, plus nuancées, ne lui convenaient pas ? L’explication qui m’a été donnée par la réalisatrice lors d’un entretien téléphonique après l’émission est que mon analyse ne portait que sur un nombre limité de fruits et légumes (ce qui est exact), concernait aussi des céréales, le lait et l’œuf et ne visait pas que les minéraux et vitamines mais aussi les protéines, les lipides et les glucides. Curieux motif de rejet ! De plus, j’ai présenté des données par espèce végétale tandis que le reportage présente des moyennes de 70 espèces dans le but, me dit-on, de montrer des « tendances » d’évolution. Pour cette raison, mes conclusions seraient « biaisées », voire « partisanes »...

Or, comme nous l’avons souligné [1], se baser sur de telles moyennes de pourcentages d’évolution, calculées sans pondération tenant compte des quantités consommées, n’a pas de sens scientifique ni d’intérêt pratique. En effet, ces moyennes sont artificiellement gonflées par les fortes variations de très faibles valeurs sans intérêt (par exemple, une très forte baisse des très faibles teneurs en fer de la plupart des fruits frais n’aurait pas d’impact nutritionnel car leur contribution à l’apport de fer est toujours insignifiante).

En fait, dans le reportage, il n’est pas seulement question de moyennes mais aussi de trois exemples précis largement mis en avant concernant des pertes de calcium et de vitamine C dans le haricot vert ou la tomate… Mais, curieusement, aucun exemple n’est cité parmi la dizaine de cas d’augmentation de teneurs en minéraux et vitamines observées dans mon seul tableau, dont des gains nutritionnellement significatifs, comme pour le calcium du chou ou la vitamine C de la pomme de terre.

Non, nos fruits et légumes n’ont pas été, au fil du temps,  « vidés d’une bonne partie de leurs micro-nutriments ». Et, même si un certain effet de dilution peut parfois être observé pour des variétés à plus haut rendement ou à plus forte vitesse de croissance, il ne s’agit pas du « grave déclin » qu’une présentation tronquée et trompeuse révèle en se gardant de faire référence à toute expertise qui aurait pu nuancer ou contredire un message probablement prédéfini et inutilement anxiogène.

Références

1 | Guéguen L, « Retour sur Cash Investigation “fruits et légumes” (France 2, 18 juin 2019) ». Sur le site de l’Académie d’agriculture de France, academie-agriculture.fr

2 | Ciqual-Anses, « Composition nutritionnelle des aliments », table Ciqual version 2016. Sur anses.fr

3 | Guéguen L, « Le prétendu déclin de la valeur nutritionnelle des aliments  », SPS n° 321, juillet 2017. Sur afis.org

Publié dans le n° 331 de la revue


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L' auteur

Léon Guéguen

Directeur de recherche honoraire de l’Inra et membre émérite de l’Académie d’agriculture de France.

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