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Psychanalyse et addictions

Publié en ligne le 30 mai 2011 - Psychanalyse -

La publication du Livre noir de la psychanalyse a suscité de nombreux débats dans notre pays, un des derniers bastions de cette forme de psychiatrie. Le chapitre « Les victimes de la psychanalyse » est particulièrement éloquent.

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En Suisse, Jean-Jacques Deglon 1, qui avait une formation de psychanalyste, décrit en détail les faits qui l’ont conduit à abandonner cette pratique dans les addictions. Le titre même du chapitre écrit par Jean-Jacques Deglon est éloquent : « Comment les théories psychanalytiques ont bloqué le traitement efficace des toxicomanes et contribué à la mort de milliers d’individus » . Confronté aux problèmes posés par des sujets dépendants à l’héroïne, il a rapidement compris l’impasse où conduisait cette approche. Un séjour aux États-Unis lui fit découvrir les travaux de Vincent Dole, qui dès 1960 avait mis en évidence l’action favorable d’un dérivé opioïde, la Méthadone : celle-ci supprime le syndrome de manque, sans entraîner de renforcement positif, c’est-à-dire sans la sensation de plaisir. Il a fallu à Jean-Jacques Deglon plusieurs années de lutte, au milieu des dénigrements, des accusations de « dealer en blouse blanche ! », parfois des invectives, pour réussir à imposer ce traitement qui a transformé le pronostic et la vie de ces sujets, même si bien évidemment tout n’est pas encore résolu. L’impérialisme idéologique de la psychanalyse, qui a longtemps exclu toute autre approche, a pesé lourd dans ce retard tragique à la mise en place des traitements de substitution.

En France, les premiers traitements de substitution ont été le fait de pionniers isolés agissant au milieu du scepticisme général ; en 1975, ce fut la méthadone dans le service du Professeur Fournier à l’hôpital Fernand Widal, avec Jean Dugarin 2. Dans les années 1980, la Buprénorphine, agoniste opioïde partiel, fut utilisé par Didier Touzeau à la Clinique Liberté (hôpital Paul Guiraud). Mais il a fallu attendre la fin des années 1990 pour voir se développer officiellement les traitements de substitution.

En tabacologie, j’ai pu faire certaines constatations. Les consultants sont des fumeurs très dépendants, atteints, dans plus de la moitié des cas, de troubles anxieux et dépressifs, le plus souvent non identifiés jusqu’alors : anxiété généralisée, phobie sociale, troubles dépressifs. Dans plus d’un tiers des cas, ces fumeurs ont eu recours à une psychothérapie, ce qui reflète bien l’existence d’une souffrance psychologique. Les questions suivantes ont été posées :
● Avez-vous déjà suivi une psychothérapie, pendant combien de temps ?
● Quel type de psychothérapie ? Les stratégies utilisées sont pour moitié des thérapies de soutien et des psychanalyses. Les Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC) ont été jusqu’alors exceptionnelles.
● Quel type de thérapeute ? Médecin psychiatre psychanalyste, psychologue, ou psychanalyste « pur » ?

Des dérives choquantes

Au cours de ces thérapies psychanalytiques, peuvent s’observer des dérives choquantes :
● Paiement exclusivement en espèces, avec des tarifs élevés (c’est plus efficace !). Lorsqu’il s’agit d’un psychiatre, le montant des honoraires est porté sur la feuille de maladie, mais il y a souvent en plus, une somme directement versée en espèces. J’ai vu également le cas où, au bout de quelques mois, la feuille de maladie n’était plus remise, avec un paiement en espèces, toujours sous le prétexte d’une meilleure efficacité.
● La durée du suivi est toujours très longue, dans la majorité des cas supérieure à 5 ans, une à deux fois par semaine. Les chiffres de plus de 10 ans ne sont pas rares ; le record est de 15 ans, et la thérapie est encore en cours…
● La psychanalyse peut également comporter des risques, car les traitements nécessaires ne sont pas mis en œuvre : ceci est surtout le fait des non-médecins, et surtout des analystes « purs » qui n’ont pas les bases indispensables en psychologie et en psychiatrie : tel fut le cas de cette patiente âgée de 50 ans, vue en consultation pour une double dépendance tabac-alcool. Son état psychologique était très précaire depuis de nombreuses années, avec tous les symptômes d’un état dépressif majeur. En fait, un trouble bipolaire était connu depuis l’âge de 25 ans et avait commencé à être traité. À l’âge de 30 ans, elle avait consulté un psychanalyste « pur », qui avait arrêté le traitement ; il la voit régulièrement une ou deux fois par semaine depuis vingt ans sans aucun résultat réel. Ainsi cette patiente n’a pas bénéficié d’un traitement dont l’efficacité est pourtant parfaitement démontrée.

Une souffrance toujours présente

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Lorsque ces sujets sont vus en tabacologie, la souffrance psychopathologique, associée à leur tabagisme et ayant motivé la psychothérapie, reste toujours présente, comme le montrent bien leurs plaintes : sensation de mal-être, anxiété, hypersensibilité au stress, « déprime ». Après un bilan psychologique basé sur le DSM IV et des échelles d’anxiété et de dépression, un traitement psychotrope adapté est mis en place : antidépresseur, thymo-régulateur, complété chaque fois que possible par une TCC. En association au traitement pharmacologique de la dépendance tabagique, cette approche permet d’obtenir un sevrage confortable et durable ; parallèlement, il y a une amélioration souvent spectaculaire de l’état psychologique, ce qui n’avait pas été observé après des années de psychanalyse. Certains patients nous ont alors dit : « je vivais avec ces troubles, mais je considérais qu’ils faisaient partie de moi-même », « je suis enfin comme j’avais toujours rêvé d’être ». Cependant, la majorité d’entre eux dit être très attachée à leur psychanalyste, et ne regrette pas cette démarche, bien que l’échec soit évident. Malgré la persistance des troubles, et souvent malgré des sacrifices financiers importants, pourquoi continuent-ils des années durant, ces rencontres dont la durée même témoigne de l’inefficacité ? Une des explications possibles réside dans leurs difficultés psychologiques ; ils ont en permanence un sentiment de mal-être, d’inconfort, d’anxiété. Le plus souvent, ils n’ont pas consulté pour ces troubles ; avec ces « thérapeutes », ils ont trouvé une écoute qui leur a apporté un soulagement, comme le fait tout secours par la parole, autrefois les directeurs de conscience, la confession (tous deux désintéressés), aujourd’hui les mages, guérisseurs et autres… Cela est grave, car ces sujets vivent dans l’illusion d’un bienfait et n’ont pas bénéficié des thérapeutiques pharmacologiques et psychologiques validées, qui auraient pu leur apporter un réel soulagement ; ils ont poursuivi leur intoxication au tabac, avec toutes les complications dramatiques liées à cette drogue. Les thérapies psychanalytiques n’ont jamais eu la moindre indication dans le domaine des addictions.

D’autres stratégies possibles

Quelle attitude pratique devons-nous avoir dans cette situation ? La dépendance tabagique doit être prise en charge, ainsi que les troubles psychologiques. Mais il n’est pas souhaitable de conseiller au sujet d’interrompre leur psychothérapie, s’ils y sont attachés. Il faut cependant leur indiquer qu’il existe d’autres stratégies possibles, par exemple les TCC pour la gestion du stress, l’affirmation de soi…Il n’est nul besoin du « divan » pour manifester soutien et empathie à ceux qui se confient à nous !

Ainsi, la consultation de tabacologie est-elle un observatoire privilégié des « coulisses » des pratiques en psychothérapies. Ces constatations confirment bien la situation aberrante où se trouve la psychothérapie en France, malgré les décisions récentes. Il reste un retard majeur par rapport aux autres pays développés…au siècle de l’« Evidence Based Medicine » (médecine fondée sur des preuves). Mais il y a un tel lobby et un tel passé…Et ces explications purement verbales, ces « vérités révélées » sont tellement simples à comprendre et à reproduire par les médias ! Tout ceci avait été merveilleusement décrit, il y a plus de 20 ans par un précurseur, Pierre Debray-Ritzen dans son livre La psychanalyse, cette imposture. Et encore, ce mot que j’ai entendu en 1953 de la bouche de Robert Debré (j’étais alors interne dans son service) : « la psychanalyse, c’est la plus grande escroquerie du siècle ».

L’évolution est cependant en cours, mais elle sera longue. « Les thérapeutiques néfastes et les pratiques irrationnelles et erronées ne s’évanouissent qu’avec la disparition physique de leurs promoteurs et disciples » (Pierre Debray-Ritzen).

1 Jean-Jacques Deglon, « Témoin et acteur d’une révolution. Les traitements par la Méthadone » ; Le Courrier des Addictions, 2003 ; 4 : 133-138.

2 Jean Dugarin, « Quarante ans d’inconfort » ; Le Courrier des Addictions, 2010 ; 12 : 4-7.

Publié dans le n° 293 Hors-série Psychanalyse de la revue


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L' auteur

Gilbert Lagrue

Après une carrière consacrée à la néphrose lipoïdique de l’enfant en tant qu’interne en pédiatrie auprès du (...)

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