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Peut-on mieux apprécier la menace que représente un supervolcan ?

Publié en ligne le 8 janvier 2018 - Information scientifique -

Parmi les menaces d’extinction, totale ou partielle, qui pèsent sur les êtres vivants de notre planète, celles qui sont dues à nos actions sur terre, dans l’atmosphère et dans les océans sont peut-être les plus à craindre. L’efficace balayage de l’espace interplanétaire par les planètes géantes [1], s’il n’a pas fait disparaître complètement le risque d’une collision avec un planétésimal, l’a en effet fortement réduit.

Mais une menace sans recours reste celle de l’éruption d’un supervolcan. À ce sujet, on lira avec profit le dossier publié par Pour la Science [2]. Les principaux supervolcans reconnus à ce jour sont les calderas de Yellowstone, dans le Wyoming, à l’ouest des États-Unis ; Long Valley en Californie ; Valles dans le Nouveau Mexique ; Lac Toba au nord de Sumatra. En Europe, les Champs Phlégréens 1 et Santorin peuvent aussi être considérés comme des supervolcans, mais de moindre importance. Le dernier a été responsable de l’anéantissement de la culture minoenne en Crète 2 et dans les îles du Dodécanèse.

Yellowstone est le mieux étudié [4]. Il y a environ 640 000 ans eut lieu une éruption gigantesque, avec un volume de roches émis 3 d’environ 1 000 km3. C’est dans la caldera qui fut formée – une dépression de 45 km de largeur sur 85 km de longueur – que se situe le parc national. Deux éruptions avaient eu lieu auparavant dans cette région, avec des volumes émis d’environ 2 450 km3 vers - 2,1 millions d’années (Ma) et 280 km3 vers - 1,3 Ma ; ce qui suggère une récurrence d’environ 650 000 ans et donc un risque notable à plus ou moins court terme. Les éjecta de ces éruptions ont couvert une bonne partie de l’ouest et du sud des États-Unis et du nord du Mexique, avec des couches de quelques millimètres à quelques mètres d’épaisseur. Depuis, l’activité volcanique 4 n’a pas cessé dans la région.

Celle-ci a toutes les caractéristiques d’un point chaud : flux de chaleur anormal 5, d’environ 20 fois la moyenne sur les continents ; nombreux geysers et sources chaudes ; anomalie du géoïde, d’une dizaine de mètres de hauteur, centrée sur la caldera et s’étendant sur 1 000 km ; et, parfois accompagnées par des séismes, importantes déformations du sol [4]. C’est leur détermination qui permet de surveiller l’évolution des contraintes dans le sous-sol.

Ces particularités sont dues à la présence dans la croûte de réservoirs de roches au voisinage du point de fusion, ou de magma. Une exploration sismologique a permis de déterminer la structure de ces réservoirs sous Yellowstone, jusqu’à 18 km pour le matériel rhyolitique 6 et entre 26 et 48 km pour le matériel basaltique [5]. Ils sont alimentés par un panache dans le manteau supérieur, au-dessus duquel se déplace la plaque américaine. Celle-ci est poussée en direction du sud-ouest par le développement de la dorsale de l’Atlantique Nord, et elle chevauche la plaque océanique de Farallon à l’ouest. Les éruptions, qui se sont succédé depuis 16 millions d’années, ont laissé leur trace sous forme de calderas, depuis Yellowstone jusqu’à McDermitt , à environ 400 km au nord-est.

L’interaction du panache avec une zone de subduction explique certaines particularités de la région, étudiées dans de nombreuses publications [6] et simulées dans l’une d’elles [7].

On supposait, jusqu’à il y a peu, que d’immenses réservoirs contenaient du magma entièrement fondu, et qu’après chaque éruption, il était remplacé par du magma venant de la profondeur. On admet plutôt maintenant que les chambres magmatiques sont remplies de bouillies de cristaux semi-solides [8]. On peut, par l’analyse de cristaux individuels trouvés en surface, suivre l’évolution des différentes phases d’une éruption. Des études basées sur les corrélations entre isotopes de l’oxygène et isotopes du hafnium dans les cristaux montrent que de nombreuses chambres magmatiques peuvent se rassembler très rapidement (1 000 à 10 000 ans) avant une éruption [9]. Il est aussi apparu que les inclusions gazeuses des zircons étaient pauvres en oxygène 18 si elles avaient été en contact avec l’air ou l’eau de mer. Les roches correspondantes devaient donc provenir du toit de la chambre qui se serait affaissé et auraient été englouties et partiellement fondues au contact du magma du fond. On trouve ainsi à Yellowstone des zircons âgés de deux millions d’années qui ont été recyclés dans les éruptions successives. On disposera ainsi, lors de futures petites éruptions, d’un indice permettant de détecter, par sa richesse en oxygène 18, la présence d’un magma frais en profondeur, donc le commencement d’un nouveau cycle volcanique.

La province basaltique de la rivière Columbia, d’après Vic Camp
www.mantleplumes.org/CRBPlume.html

D’autres recherches [10], basées sur l’étude de cristaux de quartz, mettent en doute les estimations effectuées à partir des zircons et conduisent à une courte durée de vie pour les réservoirs qui conduiront à de super-éruptions. Celles-ci pourraient se déclencher sans beaucoup de phénomènes précurseurs. Elles formeraient des jets verticaux gigantesques de nuées ardentes, causant des perturbations prolongées dans l’atmosphère.

Actuellement, on ne dispose pas de modèles théoriques complets de l’évolution d’un supervolcan. En effet, une chambre magmatique est un système thermique complexe à trois phases hétérogènes interagissant. Cependant, plusieurs expériences ont été menées, qui peuvent fournir des données utiles pour construire des modèles. Ainsi de nouveaux résultats expérimentaux ont été récemment obtenus à l’European Synchrotron Radiation Facility 7. Un échantillon de roche magmatique de l’ordre du mm3 est comprimé au centre d’une presse 8. Il y reçoit un faisceau de rayons X dont la diffraction permet de déterminer si l’échantillon est solide ou liquide et quelle est la variation de sa densité quand le magma cristallise.

On peut s’attendre à une mobilisation massive des volcanologues à la prochaine manifestation d’activité d’un supervolcan.

Références

1 | Batygin K. et al. « Le Système solaire, une exception née du chaos », Pour la Science, 2017, 473.
2 | Bindeman I. « Les ravages des supervolcans », Dossier Pour la Science, 2010, 67.
3 | Liritzis I. et al. “A Significant Aegean Volcanic Eruption during the Second Millennium B.C. Revealed by Thermoluminescence Dating”, Geoarchaeology : An International Journal, 1996, 1:361-371. Disponible sur www.academia.edu
4 | Smith R.B. et al. “Geodynamics of the Yellowstone hotspot and mantle plume : Seismic and GPS imaging, kinematics, and mantle flow”, Journal of Volcanology and Geothermal Research, 2009,188:26–56. Disponible sur www.uusatrg.utah.edu
5 | Huang H.-H. et al. “The Yellowstone magmatic system from the mantle plume to the upper crust”, Science, 2015, 348:773-76.
6 | Une bibliographie est disponible en ligne : www.colorado.edu/geolsci/courses/GEOL5690/biblio.html (archive.org—15 juin 2020)
Voir aussi : www.yellowstonegis.utah.edu/research/hotspot.html (archive.org—15 juin 2020)
7 | Bailly S. « Vers une explication du volcanisme de Yellowstone », 8 mai 2013, sur www.pourlascience.fr
8 | Reid M.R. “How Long Does It Take to Supersize an Eruption ?”, Elements, 2008, 4:23–28.
9 | www.nature.com/articles/srep14026.
10 | « Les conditions d’éruption d’un supervolcan recréées dans un laboratoire de rayons X », Communiqué commun ESRF-CNRS-Lyon 1-ENS Lyon, 5 janvier 2014.

1 Près de Naples ; on évalue à 150 km3 le volume des éjecta de l’éruption qui a eu lieu il y a environ 36 000 ans.

2 L’utilisation de la thermoluminescence pour la datation des dépôts a permis de reconnaître [3] l’existence d’une éruption semblable, qui s’est produite dans l’île de Gyali, à 3 km au nord de Nyssiros (Dodécanèse). Elle est apparemment contemporaine de celle de Santorin, et son étude permettra sans doute d’éclaircir certaines difficultés rencontrées dans la chronologie des événements à Santorin.

3 Soit environ 15 fois l’émission du volcan de Santorin et 100 fois celle du Pinatubo en 1991.

4 Des éruptions ont encore eu lieu jusqu’en – 70 000. Une éruption hydrothermale a produit un cratère de 5 km de diamètre il y a environ 13 000 ans.

5 R. B. Smith [4] donne 2 W/m², d’où, pour l’énergie sortant chaque année de l’ensemble du plateau de Yellowstone, environ 5.1010 kWh, soit environ 1/40e de la consommation des États-Unis.

6 La rhyolite est une roche magmatique riche en silice (> 71 %), pauvre en magnésium et en fer, à petits cristaux (quartz, feldspaths et biotite) visibles à l’œil nu. Les laves qui en proviennent sont très fluides, d’où son nom. Le granite est la roche trouvée après érosion de la couverture.

Le basalte est une roche pauvre en silice (50 % environ), riche en alcalins et alcalino-terreux (sodium, potassium, magnésium) et fer ; ses minéraux sont des plagioclases (50 %), des pyroxènes (25 à 40 %), de l’olivine (10 à 25 %), et de la magnétite (2 à 3 %). C’est le constituant de la croûte océanique et de la base de la croûte continentale.

7 Cet instrument, de la taille d’un stade, est implanté à Grenoble sur le campus de l’European Photon & Neutron Science.

8 Les enclumes de la presse sont en carbure de tungstène. L’échantillon y est comprimé jusqu’à 3,5 GPa (35 000 fois la pression atmosphérique) et chauffé jusqu’à 1700 °C. Voir : plece.univ-lyon1.fr/index.php/uipements-mainmenu-38/paris-edimbourg

Publié dans le n° 321 de la revue


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L' auteur

Georges Jobert

Georges Jobert est géophysicien et professeur honoraire à l’université Pierre et Marie Curie. Il a été directeur (...)

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