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« Lignon contre Charpak et Broch »

Publié en ligne le 23 novembre 2005 - Esprit critique et zététique -
Compte rendu de l’audience et extraits du jugement par Laurent Puech - SPS n° 267, mai 2005

Nous donnons ci-après un bref compte rendu de l’audience et de larges extraits du jugement rendu dans le procès en diffamation intenté par Yves Lignon contre les auteurs et éditeurs du livre Devenez sorciers, devenez savants 1.

Les assignations : auteurs et éditeurs

Le 9 août 2002, assignation est faite par Yves Lignon de Georges Joland, directeur de publication de la société « Editions Odile Jacob », de messieurs Georges Charpak et Henri Broch, auteurs de Devenez sorciers, devenez savants et de la société des Éditions Odile Jacob devant le Tribunal d’Instance (TI) de Toulouse. Ceci afin d’obtenir des dommages et intérêts ainsi que la publication du jugement dans 5 journaux et 3 chaînes télévisées suite au préjudice que lui ont causé divers passages de l’ouvrage le mettant en cause.

Se déclarant incompétent, le TI de Toulouse renvoie le 7 janvier 2003 l’affaire devant le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI).

Le 22 mai 2003, Yves Lignon signale par courrier qu’il se désiste dans cette affaire. En effet, le 25 avril 2003, il a assigné les deux auteurs ainsi que la maison d’édition France Loisirs pour la parution du livre par cette société. Cependant, ce désistement, accepté par la défense, ne signifie pas fin de l’affaire. En effet, la défense souhaite que le jugement rendu soit contradictoire et que l’accusation soit condamnée à payer les frais de défense engagés par les accusés au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. Il est donc demandé 5 716 euros.

Une action mal engagée

Dans ses attendus, le Tribunal note que l’acceptation de désistement emporte soumission du demandeur à payer les frais de l’instance éteinte. Yves Lignon est ainsi condamné à payer 3000 euros aux défendeurs au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Yves Lignon avait fort mal engagé son affaire. L’assignation n’avait pas été faite auprès du tribunal compétent. Peut-être s’agissait-il de « jouer à domicile » à Toulouse, devant un parterre de journalistes que M. Lignon connaît depuis des années ? Ainsi, quelle que soit la suite, il était sûr de voir un large écho de cette affaire avant que le jugement intervienne. Il était ainsi plus facile de faire circuler sa version de l’affaire. Un autre élément étaye cette hypothèse : le fait que la plainte déposée l’était pour diffamation. Or, le délai prévu par le législateur pour déposer une telle plainte était dépassé. De ce fait, Yves Lignon pouvait espérer voir sa demande rejetée pour une question de forme sans que le fond soit jugé. Le renvoi sur Paris changeait donc la donne. Yves Lignon avait eu la couverture médiatique souhaitée dans cette première phase (articles dans La Dépêche du Midi et Midi Libre, interview sur M6 Toulouse, etc.), il pouvait s’aventurer sur le fond là où l’affaire n’était pas sous le feu des projecteurs. D’où la plainte déposée suite à l’édition de l’ouvrage par France Loisirs, plainte parfaitement recevable sur la forme et jugée le même jour devant le TGI de Paris.

L’audience : trois témoins convaincants

Georges Charpak a fait une intervention fort sympathique, assurant que les charlatans de style Lignon ou Teissier sont nocifs pour la Société et pour le développement de l’esprit scientifique dans la population. S’adressant à Lignon, il a déclaré : « Teissier a des diplômes que vous n’avez même pas »

Trois témoins ont été entendus pour la défense, aucun pour le demandeur.

Laurent Puech a expliqué ce qu’était le sarcophage d’Arles-sur-Tech, directement exposé à la pluie, sans auvent.

Patrick Berger, professeur agrégé de Sciences physiques, a montré l’inexactitude du calcul de corrélation de Lignon qui prétendait montrer l’absence de lien entre la pluie et le niveau d’eau dans le sarcophage.

Jean-Pierre Kahane, professeur d’Université en mathématiques, membre de l’Institut, a confirmé que la méthode employée pour confirmer le lien entre pluie et niveau d’eau était correcte et a contesté la compétence de Lignon, affirmant que les guillemets qui dans le livre entouraient sa prétendue qualification de « statisticien » auraient pu être des doubles guillemets.

La plaidoirie de l’avocat de Lignon était peu convaincante. Celles des avocats des défendeurs ont ajouté aux éléments précédents un compte-rendu de la manière dont Lignon, en trafiquant un papier à en-tête de l’Université, a pu faire croire à l’existence d’un « laboratoire de parapsychologie »

L’eau dans le sarcophage : pas vraiment un mystère 2

Dans ses attendus, le jugement rendu reprend les éléments mis en cause dans le livre de Broch et Charpak :

« Il comporte un chapitre de 21 pages (...) intitulée « Le mystère du sarcophage d’Arles sur Tech », consacré à la présence d’eau, longtemps inexpliquée, dans un sarcophage de marbre clos, réputé daté du IVe siècle, adossé à un mur d’enceinte de l’abbaye de cette localité des Pyrénées-Orientales.

Après avoir décrit ce sarcophage et fait état de la légende locale qui attribue aux centaines de litres d’eau « pure » qui la remplissent annuellement une origine mystérieuse et des vertus curatives ; après avoir fait mention d’une plaque d’explication non loin du monument portant l’inscription “la sainte tombe n’a pas livré son secret”, les auteurs exposent d’abord que TF1 a consacré dans son émission Mystères, diffusée en juillet 1992, un long reportage (...) qui a faussement alimenté la crédulité du public alors que l’explication du phénomène était, selon eux, connue depuis plus de quarante ans. »

MM. Charpak et Broch expliquent alors que trois hydrologues (MM. Pérard, Honoré et Leborgne) ont procédé en 1961, et durant plusieurs mois, à des mesures qui ont établi que le niveau d’eau à l’intérieur du sarcophage demeurait stable lorsqu’il ne pleuvait pas et augmentait en cas de pluie en sorte que le phénomène trouvait son explication scientifique dans la porosité du couvercle du sarcophage, l’eau de pluie y pénétrant, et s’écoulant ensuite, goutte-à-goutte, les dépôts séculaires de poussière et de particules et la moindre porosité du marbre du corps du sarcophage rendant l’eau prisonnière de la pierre.

C’est aussitôt après l’exposé des conclusions de cette étude que prend place le premier passage poursuivi (en page 152), avec le sous-titre « Les parapsyphiles renchérissent », rédigé en ces termes :

“Une des conséquences de l’émission Mystères a été également de fournir du grain à moudre à des parapsyphiles à la dérive ou en mal de copie. Dans la floraison d’inepties voici quelques extraits récents : Yves Lignon dans le Midi-Libre du 27 juillet 1998 [suit l’extrait d’un entretien que M. Lignon avait accordé à un journaliste de ce quotidien au cours duquel le demandeur contestait la méthode d’observation retenue lors de l’étude de 1961, au motif que le niveau d’eau avait été mesuré avec une règle d’écolier et affirmait que le lien statistique entre la quantité de pluie et le niveau d’eau n’était pas établi]”

Les auteurs poursuivent alors en relevant que le journaliste de Midi-Libre précisait que le sarcophage était situé sous un auvent et se remplissait d’eau “tout seul sans que la pluie ne l’effleure” et en indiquant que “Yves Lignon y reviendra par ailleurs : il ne peut s’agir d’eau puisque le “monument est à l’abri”.

C’est alors que figure (...) le deuxième passage poursuivi avec son sous-titre “Comment on fabrique un mystère” :

“Où le journaliste du Midi Libre et le dénommé Yves Lignon ont-ils vu que le sarcophage est à l’abri [...] De deux choses l’une, ou ces personnes n’ont jamais mis les pieds à Arles sur Tech et inventent allégrement pour “faire de la copie”, ou elles mentent effrontément et consciemment. Dans les deux cas, elles ne sortent pas grandies. Mais si la question de la crédibilité de tels individus est vite réglée [la suite de la phrase n’est pas poursuivie]. »

Suit enfin la réfutation par les auteurs des affirmations de M. Lignon, sous les sous-titres respectifs de « La peste soit de cette règle d’écolier » et « Un fabuleux « statisticien » en action », ce dernier sous-titre étant poursuivi avec les propos suivants (...) relatifs à la contestation par M. Lignon du lien statistique entre pluviométrie et niveau d’eau dans le sarcophage : “On croit rêver ! Le lien de causalité entre quantité de pluie et hauteur d’eau dans le sarcophage est au contraire certain. Evidemment, à condition de faire les calculs correctement [...]” ».

L’accusation de diffamation

Le jugement examine alors la partie technique de l’affaire. Les passages incriminés correspondent-ils à la définition de la diffamation précisée par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme étant « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne » ? Le fait imputé est ici entendu « comme devant être suffisamment précis, détachable du débat d’opinion et distinct du jugement de valeur pour pouvoir, le cas échéant, faire l’objet d’un débat probatoire utile. » Pour le Tribunal, ni la qualification de « parapsyphiles à la dérive ou en mal de copie », ni celle de « fabuleux statisticien en action » ne correspondent à la définition de diffamation.

«  En revanche, le passage poursuivi sous le sous-titre “Comment on fabrique un mystère ?”, en ce qu’il impute au demandeur d’avoir sciemment menti en soutenant que le sarcophage était protégé par un auvent, en sorte que le mystère de la présence d’eau en son sein demeurerait entier, vise un fait précis. L’imputation de mensonge est évidemment attentatoire à l’honneur et à la réputation. »

M. Lignon entretient le mystère

Il s’agit donc pour les magistrats d’examiner s’il y a bien diffamation en se rapprochant du fond du dossier. « L’imputation repose [...] sur trois éléments indissociables qui constituent, chacun, un temps du raisonnement : le sarcophage est à l’air libre et non protégé ; M. Yves Lignon prétend le contraire ; cette affirmation inexacte procède d’une volonté d’entretenir sciemment le « mystère » ([ces personnes] “mentent effrontément et consciemment”) aux fins de “faire de la copie” ».

M. Lignon, qui invoque une description attribuée à Prosper Mérimée, alors Inspecteur général des Monuments historiques, lequel mentionnait, sous la Monarchie de Juillet, la présence du tombeau “à gauche de la façade, sous une espèce d’auvent”, fait valoir avoir aperçu, lorsqu’il s’est rendu sur les lieux, “un rebord de tuiles” qu’il a pris pour un auvent et estime, en tout état de cause, que ce point n’a aucune importance, sa seule contestation ayant porté sur les calculs statistiques (“un tableau de nombres”), effectués en 1961, qui ne lui paraissaient pas convaincants.

En tout état de cause, il n’est plus contesté, après l’offre de preuve, que le sarcophage se trouve à l’air libre et n’est nullement protégé par un auvent. M. Laurent Puech, cité en qualité de témoin par les défendeurs et soulignant s’être rendu “à plusieurs reprises” à Arles-sur-Tech, en atteste ; les défendeurs produisent un courrier du curé de la paroisse en date du 18 mai 2001 indiquant qu’il n’y a jamais eu d’auvent “ni avant ni après 1998” ; enfin, les photographies versées aux débats confirment la configuration des lieux. »

Un de ses ouvrages le trahit

« Les défendeurs versent par ailleurs aux débats un des ouvrages de M. Lignon, intitulé Les dossiers scientifiques de l’étrange, paru en 1999, dont un chapitre est consacré à « La sainte tombe d’Arles-sur-Tech », dans lequel l’auteur, après avoir cité, au titre de la description des lieux, l’article du journal Midi-Libre ayant évoqué le phénomène, poursuivait : “Une première évidence s’impose donc : le sarcophage est bien un sarcophage, pas une citerne ouverte à l’air libre : quand il pleut le monument est à l’abri » en sorte que la preuve de l’affirmation inexacte faite par M. Lignon est rapportée. »

Cependant, les magistrats notent que « l’offre de preuve ne saurait cependant être regardée comme parfaite et complète au regard de l’imputation d’avoir délibérément menti, dont la portée excède le seul fait d’avoir procédé à une description inexacte des lieux. »

Concernant la bonne foi des auteurs, M. Lignon, qui ne conteste pas le sérieux de l’enquête de MM.Charpak et Broch, « fait valoir que le ton du passage poursuivi est celui d’une attaque ad hominem, dont l’animosité et l’absence de prudence sont exclusives de toute bonne foi. » Cependant, le « tribunal relève[...] que le sujet du propos incriminé, seul en litige, est déterminant dans la controverse qui oppose les parties, dès lors que la protection du sarcophage par un auvent disqualifierait les conclusions de l’étude scientifique réalisée en 1961 et celles d’études ultérieures qui attribuent la présence d’eau à la pluviométrie, à la porosité du marbre du sarcophage et, subsidiairement, à un phénomène de condensation. »

C’est d’ailleurs vainement que M. Lignon soutient que cet aspect des choses n’aurait aucune importance et qu’il se serait pour sa part borné, en sa qualité de statisticien, à contester les calculs du collège d’hydrologues de 1961, alors que dans son propre ouvrage Les dossiers scientifiques de l’étrange, il confère la qualité de “première évidence” au fait que “le sarcophage n’est pas une citerne : quand il pleut le monument est à l’abri” [...], observation qu’il donne pour sûre et qu’il réitère à plusieurs reprises en citant le journaliste de Midi-Libre (“Sans que la pluie l’effleure, sans qu’il y ait la moindre infiltration depuis les murs...”), à ce point conscient de l’aspect décisif du fait pour la suite de son propos qu’il croit devoir au détour d’une contre-phrase s’en excuser auprès de ses lecteurs (“sauf à vouloir à tout prix en rajouter en matière d’étrangeté”), persuadant ainsi ces derniers que le “mystère”, auquel il consacre un chapitre important de son ouvrage, réside tout entier dans l’impossibilité pour l’eau de pluie d’atteindre le sarcophage. Aussi est-ce au regard de cet aspect de la controverse que les propos poursuivis méritent d’être examinés. »

Une vieille controverse, une nouvelle jurisprudence ?

Le tribunal note alors que la controverse a débuté bien avant la publication du livre de messieurs Charpak et Broch, controverse à laquelle M. Lignon lui-même s’était prêté, « manifestant ainsi, par la vivacité de l’expression, qu’il ne s’est pas tenu éloigné de tout esprit polémique. » Des extraits de textes de monsieur Lignon sont cités pour souligner le ton alors choisi contre les sceptiques. Le tribunal va alors poursuivre en précisant un point important qui pourrait à l’avenir servir de jurisprudence si une nouvelle affaire mettait en cause des sceptiques pour leurs propos. « Dans de telles conditions, et s’agissant du point central d’un débat qui a pris des allures de polémique publique à laquelle le demandeur s’est incontestablement prêtée, les auteurs d’un ouvrage de vulgarisation scientifique, qui souhaitent dénoncer, dans un style enlevé et volontairement critique, propre aux livres d’opinion, l’imposture qui consiste, selon eux, à faire relever d’une simple controverse scientifique qui opposerait les tenants d’hypothèses distinctes mais auxquelles s’attacherait une égale crédibilité, des faits que seule une présentation inexacte ou erronée rattacherait à de supposés mystères ou à des phénomènes paranormaux, ne sauraient être astreints, dès lors que le débat est manifestement légitime et l’enquête sérieuse, à aucune obligation de prudence dans l’expression de leur pensée autre que celle que dicte l’absence de dénaturation des propos de leur contradicteur et d’animosité personnelle à son égard  3 »

Or, en l’espèce, les défendeurs n’ont nullement dénaturé les propos de M. Lignon qui a inexactement affirmé dans son ouvrage Les dossiers scientifiques de l’étrange, alors que ce point était manifestement central dans la controverse, que le sarcophage d’Arles-sur-Tech était protégé par un auvent en sorte que la présence d’eau ne pouvait s’expliquer par la pluie.

Une vivacité de ton non répréhensible

Par ailleurs, le passage poursuivi, malgré la vivacité du ton, ne révèle pas d’animosité personnelle des auteurs à l’égard de monsieur Lignon dès lors que le chapitre qu’ils ont consacré au « Mystère d’Arles-sur-Tech » est explicitement présenté comme ayant été dicté par leur exaspération face à une émission de télévision se rapportant au sarcophage d’Arles-sur-Tech et au refus de ses producteurs de faire sa place à l’explication naturelle du phénomène et que M. Lignon n’y est cité, parmi d’autres - notamment un journaliste de la presse locale - que sur trois pages dans un chapitre qui en comporte vingt et une et qui a pour objet principal de commenter les études scientifiques du phénomène observé.

L’excuse de bonne foi sera en conséquence retenue et M. Lignon débouté de son action.

M. Lignon sera en conséquence condamné aux entiers dépens. »

1 Yves Lignon a attaqué Henri Broch et Georges Charpak afin d’obtenir réparation suite à une attaque dont il aurait souffert lors de la publication du livre Devenez sorcier, devenez savant. L’intéressé a créé, à l’Université de Toulouse (ou plus exactement dans les locaux de l’Université) un laboratoire de Parapsychologie dont il s’est désigné du titre de Directeur, accompagné de celui, usurpé, de Professeur. Le Président de l’Université de Toulouse-le Mirail a plusieurs fois confirmé qu’il n’existait pas à l’Université en question de Laboratoire de Parapsychologie et que, si parapsychologie il y avait, elle se confondait avec la personne de M. Lignon.

2 Les intertitres sont de la rédaction.

3 Caractères mis en gras par la rédaction.