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Les flottes géantes de satellites

Publié en ligne le 2 août 2020 - Astronomie -

Les flottes géantes de satellites

En 1990, les 500 satellites actifs orbitant autour de la Terre étaient généralement gros, uniques et fiables. Pour les terriens levant le regard vers le ciel, les satellites étaient relativement rares. Leur observation était un jeu prisé de certains amateurs qui s’amusaient à prévoir le lieu et le moment de leur prochain passage.

Depuis le milieu des années 2010, un nouveau paradigme est apparu : créer un monde hyperconnecté, grâce à des milliers de satellites installés par des opérateurs privés. Il n’est pas encore réalisé, mais il est en voie de l’être. Par exemple, la société StarLink, filiale de SpaceX d’Elon Musk, a pour projet l’envoi de 12 000 satellites, destinés à fournir une connectivité Internet à haut débit en tout point de la planète. Chaque tir de fusée permet la mise en orbite de 60 satellites. D’ici fin 2020, il est prévu de lancer plus de 1 400 satellites, et 180 ont déjà été mis en orbite. Ces satellites sont petits, identiques, fabriqués en série, donc peu chers. SpaceX a annoncé leurs caractéristiques, mais d’une manière imprécise. La société a également demandé l’autorisation de lancer 30 000 satellites de plus, mais on ne sait pas dans quel but.

Un tel encombrement pose des problèmes nouveaux.

Il y a d’abord un risque de collisions entre satellites. Théoriquement, les satellites de Starlink sont équipés d’un dispositif anti-collision et d’un moteur pour corriger leur trajectoire. Dans la réalité, l’Agence spatiale européenne (ESA) a déjà dû faire dévier l’un des leurs à cause d’un risque de collision avec un satellite de Starlink. Au moment de la manœuvre, Starlink n’avait même pas répondu au message d’alerte de l’ESA. Il y avait, à l’époque, seulement 120 satellites de cette société en orbite. Qu’en sera-t-il avec 12 000 satellites ?

L’autre problème concerne la pollution visuelle du ciel. Avec 12 000 satellites dans le ciel, chaque observateur, où qu’il soit sur Terre, pourra en voir simultanément plusieurs centaines. Et contrairement à ce que l’on a pu lire dans certains journaux, ils resteront visibles
pendant plusieurs heures de la nuit, voire toute la nuit en été dans la moitié nord de la France.

Des astronomes ont publié des articles et des communiqués où ils tentent d’évaluer le plus précisément possible les dommages pour l’astronomie (voir par exemple le communiqué de l’Union astronomique internationale [1]). Très souvent, lorsqu’une portion de ciel sera étudiée, des satellites passeront dans le champ du télescope, faussant les mesures et obligeant bien souvent à rejeter l’image obtenue. Avec 42 000 satellites, il est à craindre que la quasi-totalité des images seront polluées. Par ailleurs, ces satellites couvriront en permanence l’ensemble de la surface de la planète d’ondes radio. Là aussi, un saut qualitatif important sera accompli. Aucun radiotélescope opérant aux mêmes fréquences que les satellites ne pourra plus effectuer d’observations. Les fréquences des ondes correspondent, pour la lumière visible, aux couleurs ; pour les astronomes, il en est de même avec les fréquences invisibles à l’œil nu, et ce sera donc comme si ces satellites nous cachaient une couleur du ciel.

Nuit en noir et or : la fusée qui retombe, James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)

Les simples contemplateurs du ciel en souffriront aussi : en chaque lieu, pendant la majeure partie des nuits, des dizaines de satellites seront simultanément visibles à l’œil nu, avec une luminosité comparable aux étoiles que l’on voit même briller en ville. Le ciel ne sera donc plus un refuge pour la contemplation poétique. Nous le regarderons plutôt comme un paysage au bord d’une route, interrompu par le passage incessant des véhicules.

Certes, améliorer l’accès à Internet, y compris dans les régions les plus pauvres et sous-équipées en connectivité terrestre, est une initiative louable. Mais la clientèle la plus rentable se trouve parmi les habitants des pays riches, déjà bien équipés : StarLink ne s’y est pas trompée et c’est bien la couverture Internet de l’Amérique du Nord qui est prévue pour 2020.

D’autres projets, portés par d’autres opérateurs commerciaux, sont en gestation. Ainsi, Start-Rocket prévoit d’envoyer quelques centaines de satellites dont chacun servira de « pixel » d’un affichage céleste géant qui pourrait figurer, par exemple, le logo de marques de produits de consommation.

Une nouvelle problématique sur la relation entre profit et environnement est en train de s’installer dans l’espace. Il n’y a pas de forme nouvelle de pollution, mais comme avec toute industrie émergente, celle associée au développement de l’industrie spatiale, jusqu’alors tenue pour négligeable, devient gênante par le seul effet de son accroissement. Cependant, il est mal vu actuellement de remettre en question l’utilité du projet. En effet, fournir de l’Internet à haut débit est perçu comme une évidence qui justifie de nombreux effets jugés aujourd’hui comme secondaires 1. La nécessité d’une réglementation internationale apparaît, mais elle se construira sur le long terme. D’ici à ce qu’elle soit établie et respectée, ce qui prendra probablement des années, le jugement appartiendra aux clients, sans doute indifférents à l’origine de l’Internet qu’ils utilisent. S’ils sont assez nombreux pour apprécier le service offert, ils rendront le projet économiquement viable et nous aurons autant de satellites dans le ciel que l’exigeront les propriétaires de voitures autonomes, les visionneurs de séries en haute définition en streaming, les amateurs de jeux en réseau, de selfies et de réseaux sociaux, car ce sont eux les gros consommateurs de haut débit. Le reste du monde devra s’adapter. Cependant, un usage plus modéré et non addictif de la toile, pour se documenter, pour échanger des messages, effectuer des formalités ou acheter des objets en ligne n’exige pas un tel débit. Pour ce genre d’usage, quelques centaines de satellites suffiraient pour couvrir la planète. C’est par exemple la quantité de satellites (650 prévus à l’heure actuelle) que le promoteur de l’Internet spatial OneWeb projette de placer en orbite.

Fabrice Mottez
Astrophysicien au CNRS et à l’Observatoire de Paris, rédacteur en chef du magazine L’Astronomie

Références


[1] Union astronomique internationale, “Understanding the Impact of Satellite Constellations on Astronomy”, février 2020, sur iau.org

1 On pourrait faire un parallèle entre l’Internet aujourd’hui et la voiture dans les années 1950.

Publié dans le n° 332 de la revue


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Fabrice Mottez

Astrophysicien au CNRS et à l’Observatoire de Paris, rédacteur en chef du magazine L’Astronomie

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