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Le musée d’aujourd’hui et de demain

Publié en ligne le 4 octobre 2006 -
par Isabelle Burgun

Casque sur les oreilles, un curieux personnage longe les rues. Il s’arrête fréquemment pour regarder autour de lui et écoute la voix qui lui raconte le passé de ce lieu pourtant si quotidien. Touriste dans sa propre ville avec un GPS dans la main : il vit ainsi une nouvelle expérience muséale que les spécialistes nomment « Réalité augmentée ».

« Il pourra posséder des lunettes où apparaîtront des images virtuelles lui montrant à quoi ressemblait ce lieu au début du millénaire et comment travaillaient les artisans » s’exclame François Côté, coordonnateur du Laboratoire de muséologie et d’ingénierie de la culture (LAMIC).

Le LAMIC, qui doit ouvrir l’automne prochain, sera un centre de recherche en muséologie expérimentale. Il vise à réunir dans un même lieu des chercheurs versés en muséologie, en ethnologie, en archéologie, en architecture, mais aussi des ingénieurs. Autour de trois axes - l’objet muséal, l’espace et le visiteur - ce laboratoire vise à repousser les limites du musée, à l’aide des technologies liées à la visualisation, notamment par le virtuel, la numérisation (captation) 3D ou encore la Réalité augmentée.

« D’une “machine à conserver” il s’est, de nos jours, transformé en une véritable “machine à faire voir”. C’est cet aspect fondamental du musée qui intéresse et mobilise notre équipe  », explique Philippe Dubé, le directeur du LAMIC. Ce projet bénéficiera d’un soutien de 3, 2 millions $, notamment du Fonds canadien de l’innovation, du ministère de l’Éducation, du loisir et du sport et de l’université Laval.

Vent artistique

À quoi ressemblera le musée du 21e siècle ? Beaucoup de mouvements émergent, principalement explorés par des artistes. « Le musée, autrefois une espèce uniforme, éclate grâce à la technologie et les trips artistiques. Il y a beaucoup de bricolages, pas d’organisation ni de mode démarquée », affirme François Côté. D’improvisations d’artistes contemporains au géocaching, ce nouveau mouvement se construit au fil des événements. Et le chercheur en muséologie suit certaines expérimentations avec beaucoup d’intérêt, tel « We make money not art ». Un saut sur leur site web permet de découvrir de surprenantes expositions comme The Messenger de Paul de Marinis : 26 squelettes alphabétiques qui s’animent lors de la réception de messages électroniques ou 26 bocaux dont les électrodes en formes de lettres s’allument et oscillent sous l’affluence de courriels. « Il s’agit d’environnements hybrides où l’on emploie les connaissances muséologiques de manière différente », relève François Côté qui s’enthousiasme aussi devant le travail du programme européen de financement Digicult.

Alors que les technologies sont de plus en plus accessibles, il est tentant pour les musées de suivre le courant. Mais le résultat n’est pas toujours intéressant. « Le musée ne doit pas suivre la technologie, il doit être l’initiateur, selon l’expertise de l’interactivité qu’il a su développer. Ces connaissances qui permettent de relier l’information à l’artefact doivent être intégrées à un environnement interactif, et non l’inverse », s’exclame François Côté.

Dans l’œil du visiteur

Yves Bergeron 1 ne se laisse pas impressionner par ces technologies émergentes. « L’exposition virtuelle n’existe pas, c’est comme feuilleter un livre. Les visiteurs désirent vivre une expérience authentique. Ils veulent être en contact avec les œuvres et ressentir de l’émotion devant les collections », relève le professeur du Département d’histoire de l’art à Université du Québec à Montréal. Une soif d’authentique, même si les œuvres exposées ne sont parfois que d’excellentes copies, comme lors de l’exposition Rodin au Musée du Québec. Les grandes expositions classiques attirent les foules qui diront : « je l’ai vu. J’y étais ».

Depuis un quart de siècle, le Canada développe des expositions thématiques. Depuis quelques années, celles-ci multiplient les activités culturelles pour faire croître la fréquentation : conférences, ateliers de bricolage, etc., sans oublier une publication : un catalogue amélioré, qui se vend comme des petits pains et s’avère souvent une condition sine qua non pour recevoir une exposition très populaire. Ainsi, l’exposition sur la Mélancolie qui se tenait au Grand Palais de Paris a écoulé les 3500 exemplaires de son catalogue en moins de quatre mois et a dû en réimprimer !

La privatisation des musées nord-américains est par ailleurs un phénomène qui s’accentue. Le gouvernement encourage les établissements à trouver du financement extérieur, ce qui a un effet pervers. « Cela développe une obsession pour les tourniquets. Plus de monde, plus d’argent, d’où l’omniprésence des blockbusters internationaux dans la programmation » confirme le professeur. Les grands artistes et courants classiques garantissent d’avoir du monde, parfois au détriment de la production locale. « Les musées ont tendance, et cela sera de plus en plus vrai, à limiter les risques et éviter les sujets plus difficiles », pense le Pr Bergeron.

Les visiteurs sont pourtant plus exigeants qu’avant. Ils voyagent, sont dotés de plus de moyens, veulent plus de contenus, des conférences, des audio-guides. « Il devient de plus en plus difficile de bricoler des expos » convient le Pr Bergeron. Cette clientèle « haut-de-gamme » s’avère choyée par les musées, tandis que les visiteurs moins scolarisés et moins riches, « c’est une clientèle que l’on perd ». « L’entonnoir des publics est l’un des effets de la privatisation. Le grand défi est d’intéresser ceux qui ne viennent pas, en adoptant des pratiques culturelles plus larges », avance cet ancien directeur du service de la recherche du Musée de la Civilisation.

Les musées sont donc de plus en plus fréquentés par une élite... et par les femmes. « C’est une pratique essentiellement féminine ». Il en est de même au niveau du personnel des musées. « Sur 40 élèves, je ne compte que deux gars » dit-il.

ET LA SCIENCE ?

Les musées de sciences n’ont pas la cote. « Ils vieillissent très rapidement. Même s’ils sont très populaires lors des premières années, généralement, ils évoluent peu, ce qui épuise les visiteurs », pense le Pr Bergeron.

Les musées de demain seront, d’après lui, encore plus proches de la population, mais pas forcément de manière virtuelle. « Les écomusées qui s’adressent aux collectivités gagnent du terrain. Plus courants en France ou en Allemagne qu’ici, ils ne s’adressent pas aux touristes mais veulent être les gardiens du patrimoine local, pour les citoyens », explique le muséologue. Sur le modèle du Musée d’anthropologie de Mexico qui avait délocalisé une antenne dans un bidonville pour faire vivre l’expérience du musée à ses habitants, les écomusées veulent être aussi des centres communautaires, d’appartenance.

Et pour cela, pourquoi ne pas s’imaginer que les musées deviennent totalement gratuits ? « Comme les bibliothèques, les musées doivent être plus démocratiques », dit le Pr Bergeron. Le musée de Québec l’a partiellement essayé - pour sa collection permanente - et a vu sa fréquentation augmenter de manière exponentielle. Cela a même eu un effet d’entraînement sur ses expositions itinérantes et payantes !


Pour en savoir plus :

 Digicult

 http://www.we-make-money-not-art.com/

1 Musées et muséologie : nouvelles frontières. Essais sur les tendances, par Yves Bergeron, Louise Déry, Benoît Légaré et Luc Dupont, Musée de la civilisation et la SMQ (2005).


Mots-clés : Éducation


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