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Le crépuscule des sourciers

Publié en ligne le 30 juillet 2006 -

Par l’intermédiaire de Michel Naud, alors vice-président de notre association, l’AFIS a réagi à la publication dans la rubrique « Horizons » du Monde d’un article intitulé « Le printemps des sourciers ». À notre connaissance (au 30 juillet 2006), Le Monde n’a pas donné suite à la lettre qui lui a été adressée le 9 mai par l’AFIS ni à la demande de publication d’un article exprimant un point de vue différent sur la question. 1

Ci-dessous, la lettre de l’AFIS, l’article proposé au Monde et la lettre d’un lecteur.

La lettre adressée par l’AFIS au journal Le Monde le 9 mai 2006

La publication dans la rubrique « Horizons », dans l’édition datée du 2 Mai 2006, d’un article de 1530 mots intitulé « le printemps des sourciers » a stupéfait bon nombre de nos adhérents (de l’Association Française pour l’Information Scientifique) et lecteurs (de la revue Science et pseudo-sciences) qui n’ont pas manqué de s’étonner auprès de nous de ce que nous pouvons considérer comme une « bavure » au regard de la réputation de sérieux que votre quotidien entend entretenir.

Certains de nos adhérents nous ont fait part qu’ils avaient d’ores et déjà adressé des messages au médiateur ou au courrier des lecteurs. D’autres enfin nous suggéraient de réaliser un communiqué.

Je sais qu’il n’est pas agréable de se voir critiquer quelque chose qu’on a écrit mais nous considérons qu’il est de notre responsabilité de ne pas laisser passer sans réagir que le quotidien que beaucoup considèrent comme le « quotidien de référence » semble se rallier, sans même témoigner de la moindre réserve, aux thèses pseudo-scientifiques de la radiesthésie. Nous ne pourrons pas cacher qu’il n’est pas possible de parler avec une tendresse excessive de cet article (pourtant agréable à lire) et il faudra bien assumer un désaccord sur le fond ; néanmoins nous pensons qu’une « sortie vers le haut » pourrait être la publication dans la même rubrique, « Horizons », d’un article de même longueur (1530 mots) disant, bien entendu, son désaccord avec l’article initial et proposant l’autre regard qui manquait dans cet article. C’est ce que nous nous sommes évertués à faire et nous vous le transmettons.

Nous nous réservons le droit de publier cet article - voire ce courrier - sur nos sites internet mais attendrons (durant un temps raisonnable) votre réponse, nous l’espérons, favorable pour cette publication avant d’engager la nôtre. Nous évoquerons par ailleurs une nouvelle fois dans le numéro 273 de Science et pseudo-sciences le dossier « radiesthésie ».

Malgré ce désappointement que nous espérons exceptionnel, nous vous prions de bien vouloir accepter nos salutations cordiales,

Michel Naud,
au nom de l’Association Française pour l’Information Scientifique


« Je voudrais demander au lecteur d’envisager favorablement une doctrine qui peut, je le crains, paraître extrêmement paradoxale et subversive. La doctrine en question est la suivante : il n’est pas désirable de croire en une proposition lorsqu’il n’y a aucune raison de penser qu’elle est vraie. » Bertrand Russell.

L’article « le printemps des sourciers » paru dans l’édition du 2 Mai 2006 consacrait 1530 mots à un reportage intéressant sur des entreprises de forage se réclamant de l’usage de la radiesthésie mais le moins qu’on puisse dire c’est que l’article ne prenait pas le moindre recul par rapport aux « théories » mises en avant par les foreurs et leurs clients... Essayons alors, à notre tour, en 1530 mots comme l’article original, de prendre le recul nécessaire.

« Pourtant, le phénomène existe. La prospérité des sourciers en est la meilleure preuve. »

La question centrale est bien celle de l’existence du phénomène évoqué et des preuves mobilisées pour en affirmer l’existence mais arrêtons-nous un instant sur la preuve par la « prospérité » : la prospérité des astrologues est-elle la meilleure preuve de la pertinence de l’astrologie ? La prospérité des laboratoires Boiron est-elle la meilleure preuve de l’effet autre que placebo de la consommation des fortes dilutions homéopathiques ?

La rédactrice du « printemps des sourciers » a mobilisé la preuve par « les pages jaunes » et nous nous sommes donc reportés à la rubrique « radiesthésie » de l’annuaire invoqué ; nous avons effectivement découvert dans notre département (Loire atlantique) dix inscriptions sous la rubrique « radiesthésie », associées le plus souvent à « magnétiseur », « bioénergie », « géobiologie » et même « purification des lieux » (??)...

À la recherche des derniers courants des sciences prouvées par les « pages jaunes » nous dénombrions douze annonces dans la rubrique « astrologie, numérologie » contre une seule pour « astronomie », ce qui traduit, à défaut de scientificité, une différence de prospérité... Nous trouvions également une page entière consacrée à « voyance, cartomancie », suggérant alors que les preuves en faveur de ces disciplines sont bien supérieures à toutes celles que nous venons d’envisager... Par contre, nous n’y avons trouvé que quatre journalistes professionnels probablement moins prospères...

De quel phénomène parle-t-on ?

Du fait que les entreprises de forage prospères... sont prospères ? C’est une tautologie. Que la privatisation de la distribution de l’eau et l’augmentation souvent corrélée de son prix incitent davantage les professionnels et les particuliers qui sont en zone rurale à forer leur propre puits plutôt qu’à avoir recours au service de la collectivité ? C’est compréhensible, même s’il faut s’interroger sur les conséquences sur les nappes phréatiques et les possibles conséquences sanitaires. Qu’il n’est pas déraisonnable de penser que l’on peut trouver sans grand risque de l’eau « entre les deux bras d’un fleuve » ? Nous sommes prêts là aussi à le concéder.

Une lettre adressée au journal Le Monde par l’un de nos lecteurs.

J’ai été profondément scandalisé, catastrophé, au point d’envisager la résiliation de mon abonnement, à la lecture de l’article de la page 16 du Monde daté dimanche 30 avril - mardi 2 mai 2006, article intitulé « Le printemps des sourciers ».

Passe encore s’il avait fait l’événement du Monde du 1er avril. Mais publier de telles inepties aujourd’hui me paraît indigne d’un journal « sérieux » comme Le Monde, quoique il ait déjà « dérapé » il y a quelques années en soutenant les thèses du célèbre laudateur, aujourd’hui disparu, de l’homéopathie au sujet de la « mémoire de l’eau ».

N’est-ce pas inciter le lecteur crédule à la recherche d’un peu d’eau à s’adresser à ces professionnels de l’obscurantisme en vantant sans aucune réserve l’efficacité (« 4 échecs sur 350 forages ») de leur baguette magique ou de leur pendule ?

« Le phénomène existe : la prospérité des sourciers en est la meilleure preuve ». La prospérité des tous les « guérisseurs » et autres prôneurs des « médecines douces » serait donc la preuve qu’il vaut mieux s’adresser à eux qu’aux véritables médecins ?

J’attends avec curiosité l’avis du médiateur...

Paul Carré

L’activité de forage est une activité, le plus souvent artisanale, quelquefois industrielle, pour laquelle, comme pour toutes les activités, la compétence démontrée et garantie est la première exigence de la pérennité, elle-même condition nécessaire même sinon suffisante de la prospérité. Certaines de ces entreprises ou de ces artisans font appel à la radiesthésie, soit parce qu’ils sont convaincus de sa pertinence soit parce que leurs clients leur demandent.

Sur le plan du phénomène nous constatons la même chose en santé publique avec l’homéopathie ; certains médecins croient en l’homéopathie et mettent cette pratique thérapeutique en avant, d’autres n’y croient pas mais ne refusent pas pour autant de prescrire les gélules à celles et ceux qui en attendent la prescription. L’existence des homéopathes avec pignon sur rue ou le remboursement des produits homéopathiques par la sécurité sociale sont-ils les meilleures preuves de l’efficacité de l’homéopathie et des principes qui en font, d’après ses promoteurs, le succès ? Il est vrai qu’au-delà d’un effet placebo optimisé l’homéopathie n’a pas beaucoup d’autres preuves à son appui.

Ce que nous voulons mettre en lumière est que le fait d’y croire ne prouve pas que cela marche. Le fait que « cela marche » ne prouve pas que cela marche pour les raisons qui sont invoquées : en effet s’il n’est pas contestable que les entreprises de forage prospères qui revendiquent l’utilisation de la radiesthésie trouvent de l’eau au fond des trous qu’elles forent, il n’est guère contestable non plus que les entreprises de forage prospères qui ne recourent pas à la radiesthésie trouvent, elles aussi, de l’eau au fond des trous qu’elles forent...

Du champ magnétique terrestre...

L’article évoque les hypothèses et les études controversées d’Yves Rocard. La rédaction suggère même que le tir de barrage de l’establishment scientifique (l’académie des sciences) contre ces hypothèses expliquerait que personne n’ose plus se risquer à expérimenter. Nous devons nous inscrire en faux contre ces affirmations car elles sont fausses sur le plan factuel. Bien au contraire les expériences décrites par le Pr. Rocard sont faites et refaites par des générations d’étudiants... à fins d’illustrer les erreurs méthodologiques dudit physicien et d’apprendre aux étudiants à ne pas les reproduire et à les détecter. Le professeur Henri Broch, co-auteur avec Georges Charpak du best-seller « devenez sorciers, devenez savants... » s’y emploie année après année dans le cadre des cours de zététique qu’il donne à l’université de Nice Sophia Antipolis.

De nombreuses expériences ont continué à se réaliser mais aucune n’a jamais conduit à mettre en lumière l’existence du phénomène revendiqué par les sourciers. La question n’est bien évidemment pas de savoir si l’être humain est susceptible d’être sensible à des variations du champ magnétique terrestre. Cette hypothèse n’a rien d’ésotérique en elle-même ; elle n’a tout simplement jamais été mise en lumière par aucun protocole sous contrôle scientifique et personne ne pourra évidemment jamais affirmer qu’elle est fausse : sur le plan de la pure logique, l’inexistence d’un phénomène (ou d’un agent surnaturel) ne peut jamais être prouvée... seules les existences peuvent être prouvées... et celle-là ne l’est pas...

... à la recherche des tortues égarées.

Ceci dit, même si nous pouvons être indulgents - dans un premier temps - avec ceux qui prêtent une oreille favorable à la thèse de la baguette (ou du pendule) qui aide à trouver de l’eau, il est plus difficile de le rester quand il semble être porté crédit à l’affirmation rapportée suivant laquelle, grâce à son pouvoir, le sourcier « a retrouvé des tas de choses : une tortue égarée, une vis de Caméscope, un trésor de pièces antiques. » Ceci rappelle étrangement la publicité qui traîne sur internet du marabout qui, pour clore la liste impressionnante de ses pouvoirs, annonce même avec fierté qu’il « fait démarrer les motos russes »...

En guise de conclusion...

La croyance radiesthésiste refait régulièrement surface et il est assez probable que cela continuera. Si nous avons l’indulgence d’oublier la recherche des tortues disparues pour ne retenir que la béquille d’appoint pour les foreurs à la recherche d’eau, il est indéniable que l’idée d’une capacité humaine à détecter des fluctuations du champ magnétique terrestre n’est pas en soi invraisemblable. C’est cette vraisemblance qui a conduit un physicien comme Yves Rocard à se fourvoyer dans cette voie sans s’apercevoir de l’impasse qu’il empruntait. Il en est de même pour d’autres dispositions réputées paranormales (télépathie, télékinésie, etc.) qui postulent elles aussi que le corps humain présenterait des capacités de détection de signaux et de traitement de ces signaux que seuls, pour des raisons encore inconnues, certains individus possédant un « don » ou simplement ayant réussi à exprimer une potentialité existant chez chacun et chacune d’entre nous, seraient en mesure de mettre en oeuvre. Les scientifiques sont régulièrement sommés de devoir accepter comme une évidence l’existence de phénomènes paranormaux (présentement l’évidence de l’efficacité de la radiesthésie) et sollicités en conséquence pour trouver des explications à ces phénomènes indubitables. Mais les scientifiques ne s’appuient pas sur « l’intime conviction » des protagonistes ; leur bonne foi n’est pas mise en cause : la foi, bonne comme mauvaise, est tout simplement hors sujet.

Il s’agit donc d’abord d’établir l’existence (éventuelle) du phénomène et pour cela de réaliser une expérimentation suivant des protocoles qui ont fait leur preuve (ailleurs que dans les pages jaunes). Certains laboratoires, certaines équipes, constitués de scientifiques mais aussi d’illusionnistes (car nous ne sommes pas assez naïfs pour ignorer que la fraude, elle aussi, existe...), s’y attellent, en France, en Belgique, aux Etats-Unis...

Certaines universités et certaines écoles d’ingénieurs consacrent des heures d’enseignement à l’acquisition de ce qu’il faut de méthode scientifique et d’esprit critique pour pouvoir exercer « l’art du doute » (selon le Pr. Broch) ou « l’hygiène préventive du jugement » (selon le biologiste Jean Rostand). L’accès à un tel « savoir fondamental » serait profitable à tout citoyen, et tout d’abord à ceux d’entre eux qui auront à traiter de science - ce qui pourrait inclure les journalistes dans le cadre de la formation professionnelle continue -.

Michel Naud Vice-Président de l’Association Française pour l’Information Scientifique 14 rue de l’école polytechnique, 75005 Paris, www.pseudo-sciences.org

Voir aussi l’article de Jean Günther paru dans SPS n° 273.

1 La lettre et l’article de Michel Naud ont été adressés à Patrice Claude, rédacteur en chef de la rubrique « Horizons » et à Véronique Maurus, auteur de l’article « Le printemps des sourciers », avec copies pour l’animateur du Courrier des lecteurs et le médiateur du Monde.


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