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Le « Monde » des sourciers

Publié en ligne le 1er novembre 2006 - Science et médias -
par Jean Günther - SPS n° 273, juillet-août 2006

La complaisance de la presse, même réputée sérieuse, pour le paranormal semble sans limite. Dans son numéro daté du 20 avril 2006, Le Monde consacre sa page 16 à un reportage de Véronique Maurus intitulé « Le printemps des sourciers ».

Le reportage commence par une anecdote. Un sourcier à la « carrure d’athlète et regard bleu » trouve, grâce à son pendule et à sa baguette (qu’il utilise en alternance), l’emplacement d’un puits pour son client maraîcher, et annonce d’avance la profondeur de l’eau et le débit à attendre. Une immense photo en couleur représente le porteur de baguette en pleine action. On ne nous dit pas si ses prédictions ont été vérifiées. Et on peut remarquer que ce sourcier dirige une entreprise spécialisée, dont le nom est donné. C’est un cas typique de publicité rédactionnelle, que la déontologie des journalistes devrait exclure 1. Notre sourcier, interrogé sur d’éventuels échecs, en avoue 4 sur 350 forages. Mais qui ira vérifier ? Et quel serait le taux d’échec d’un hydrogéologue opérant à partir de données objectives, dans une région sédimentaire où l’eau est partout ? Le sous-titre de l’article nous explique que les sourciers garantissent les résultats ; mais il est clair que, ce faisant, ils ne prennent pas de gros risques, vu justement l’omniprésence de l’eau en pays sédimentaire. L’eau y forme des nappes, non des courants souterrains comme on le croit souvent et comme le suppose l’article.

Le reporter aurait essayé de tenir lui-même la baguette. Cela marche ! Il a le fluide ! Naturellement on savait où elle allait se lever, puisque le sourcier était passé avant ; le rôle de l’autosuggestion joint aux caractéristiques mécaniques de ce système instable que constitue la baguette suffit pour expliquer l’impression que l’objet se dressait comme doté « d’une force propre ».

On apprend ensuite que l’Église ne condamne pas la sourcellerie, qui aurait été pratiquée par certains prêtres, sans doute aux temps lointains où les effectifs importants du clergé leur laissaient des loisirs.

Enfin on se tourne vers la Science, pour déplorer son rejet de la réalité du phénomène. Une allusion est faite au Pr Rocard et à sa vaine tentative d’une explication scientifique fondée sur une double et hasardeuse supposition : que les accidents du sous-sol associés aux aquifères généreraient des champs magnétiques et que l’Homme serait sensible à ces faibles champs. Ces idées et la propagande qu’il en a faite lui auraient coûté son élection à l’Académie. Notons que son échec est plus probablement dû à des raisons politiques : on lui reprochait sa collaboration avec le CEA militaire, qui lui a valu le titre, largement usurpé, de père de la bombe atomique française 2.

Les expériences du Professeur Rocard sont régulièrement refaites par les étudiants du cours de zététique de l’Université de Nice 3, qui apprennent à repérer les biais qui ont enlevé toute crédibilité à ses affirmations. Et signalons que cette théorie ne pouvait concerner que la recherche de l’eau : or l’article nous apprend que notre sourcier peut aussi retrouver une tortue égarée, une vis de caméscope, un trésor…

La meilleure preuve de la réalité du phénomène serait, nous dit l’article, la prospérité des sourciers. Dans ce cas la prospérité des voyantes ou des astrologues serait une « preuve » de l’efficacité de leurs pratiques !

Dans la suite du texte, on explique qu’il existe une demande de forage de puits (repérés, bien sûr, par un sourcier) pour les usages domestiques, demande justifiée par le prix de l’eau, qui inclut, rappelons-le, celui de l’assainissement. L’auteur semble encourager cette pratique, pourtant bien discutable, véritable régression qui ne peut mener qu’à la consommation d’eau polluée et à la dégradation de l’environnement par un rejet incontrôlé des eaux usées. Il est irresponsable de promouvoir un tel retour en arrière sous prétexte de développer le marché des sourciers. Ces considérations sont accompagnées d’un exemple concret de gens ayant abandonné la distribution publique de l’eau pour revenir au puits de leurs ancêtres, réactivé et amélioré par un sourcier.

Un hydrogéologue (autoproclamé ?) est interviewé et livre une déclaration complaisante et ambiguë. Il affirme que des sourciers auraient trouvé de l’eau là où le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) n’en a pas trouvé. Mais jamais le BRGM ne s’est occupé de cela, ce n’est pas son rôle

Le texte se termine par une deuxième publicité rédactionnelle pour un sourcier-puisatier « au regard lumineux », guérisseur reconverti dans la recherche de l’eau 4 et une allusion douteuse aux gens qui puisent de l’eau dans les nappes phréatiques sans se soucier des règlements et des besoins des autres utilisateurs.

Au total, nous avons affaire à un article qui est à la fois une désinformation scientifique, une publicité rédactionnelle pour des entreprises commerciales, une promotion de pratiques ancestrales dont les inconvénients sanitaires sont bien connus et un encouragement à prélever de l’eau dans le sous-sol sans respect des règles indispensables pour préserver la ressource. C’est beaucoup pour un journal qui tient à sa réputation de sérieux.

Protestation de l’Afis

L’Afis a adressé sa réaction au journal Le Monde et a proposé un article pour publication.

* Les illustrations sont tirées de www.geobiology.co.il

1 J’ai vérifié, dans l’annuaire, que cette entreprise existe bien sous le nom donné dans l’article.

2 Voir SPS n° 260, p. 49.

4 Lui aussi présent dans l’annuaire.