La vérité sur la maladie de Lyme
Publié en ligne le 16 octobre 2017Infections cachées, vies brisées, vers une nouvelle médecine
Pr Christian Perronne
Odile Jacob, 2017, 300 pages, 21,90 €
Christian Perronne est chef de service en infectiologie à l’hôpital universitaire de Garches. Il est un des principaux acteurs engagés en France dans la controverse autour de la maladie de Lyme et l’un des seuls scientifiques du domaine à prendre parti du côté de ceux qui dénoncent le consensus « officiel » 1. Ce livre expose en détail les convictions de l’auteur et apporte sa vision de la controverse.
La thèse est radicale : « un scandale mondial, l’un des plus effarants de l’histoire de la médecine, attire aujourd’hui l’attention des médias et de l’opinion sur la maladie de Lyme », les politiques et les responsables du système de santé « continuent de “faire l’autruche” » (p. 9) et les experts « cachent beaucoup d’informations ou essaient de discréditer celles qui ont échappé à leur censure » (p. 21). Des millions de personnes dans le monde verraient leur vie détruite par un système dans le déni et par des médecins préférant « déclarer son malade fou plutôt que de reconnaître son ignorance au sujet de sa maladie » (p. 167).
Pour Christian Perronne, la sérologie des tests utilisés en première intention a été calibrée délibérément pour rester en dessous d’un seuil de 5 % de personnes positives afin de faire en sorte que la maladie de Lyme reste une maladie rare (voir l’encadré sur ce sujet dans ce dossier de SPS). Pour l’auteur, ces tests sont de toutes les façons obsolètes car basés sur une seule souche de bactérie. Les autorités sanitaires sont vilipendées, en particulier le CNR (Centre national de référence) des borrélioses de l’Institut Pasteur puis de Strasbourg, accusé d’obéir « le petit doigt sur la couture du pantalon » (p. 243) aux recommandations de l’IDSA (Infectious Disease Society of America – l’association américaine des maladies infectieuses à l’origine des recommandations adoptées par l’ensemble des autorités sanitaires). L’IDSA, qualifiée de « petit club » (pp. 54, 57 et 88), est « bourrée de conflits d’intérêts » (p. 103) et empêche toute publication dans les revues scientifiques de textes ne reprenant pas ses « versets ». En France et au niveau européen, « les “experts” assis sur leur trône tournent le dos à l’évidence scientifique, méprisant les malades, que le système refuse d’entendre » (p. 104).
Christian Perronne développe largement sa thèse des « crypto-infections », un « ensemble de maladies mal connues, dues […] à des infections cachées » (p. 10), sorte de « chaînon manquant entre Pasteur et Freud » (p. 22), où « le psychisme peut moduler l’évolution des symptômes » (p. 22). Pour lui, beaucoup de maladies idiopathiques (dont on ne connaît pas la cause précise) seraient en fait dues à une infection. Les crypto-infections pourraient apporter « des éclairages inattendus sur l’autisme, la schizophrénie et la maladie d’Alzheimer » (p. 185), mais également sur « des manifestations très diverses dans de nombreux champs de la médecine réputée non-infectieuse » (p. 193). Les « crypto-infections » seraient ainsi l’explication de la « maladie de Lyme chronique ». Pour l’auteur du livre, la maladie de Lyme dans ses phases secondaires et tertiaires peut se manifester « par tout et n’importe quoi » (p. 34), les signes sont surtout subjectifs, « ne reposant que sur les dires du malade » (p. 174). Et s’il convient d’essayer de trouver quelques éléments objectifs, c’est essentiellement « pour convaincre le médecin traitant, l’entourage et l’assurance maladie de la réalité physique de la maladie » (p. 174).
Les essais contrôlés, étalon-or de l’évaluation dans la médecine moderne, sont présentés comme relevant d’une approche méthodologique « totalement inadaptée quand on doit étudier plusieurs facteurs intriqués, d’autant plus que la population de malades que l’on étudie est hétérogène » (p. 229), comme c’est le cas, selon Christian Perronne, avec les « crypto-infections ». Ainsi affirme-t-il, en se dispensant d’apporter la moindre preuve, avoir « appris progressivement à soigner et même à guérir un nombre considérable » (p. 26) de malades souffrant de « crypto-infections ». D’une façon générale, il vante de la sorte de nombreux traitements sur la seule base du témoignage : la phytothérapie, les extraits végétaux variés, la propolis, les pépins de pamplemousse, le Ginkgo biloba… En guise de validation, la simple affirmation suffit : « j’ai pu constater leur efficacité dans plusieurs circonstances » (p. 160), « j’ai vu au fil du temps de plus en plus de malades qui se traitaient avec succès » (p. 162), « avec maintenant des années de recul sur un nombre très élevé de malades, il m’apparaît clairement que les patients qui continuent une phytothérapie au long cours, voire à vie, rechutent infiniment moins que les autres » (p. 164). Bien entendu, nuance-t-il, ces traitements « ne marchent pas à 100 % chez tout le monde » (p. 160), mais il précise immédiatement que c’est « comme les antibiotiques » (p. 160) – le traitement de référence qui a été largement validé scientifiquement.
Avec une variété de symptômes sans limite, au gré du psychisme des patients, et en s’autorisant une prise de distance avec la méthode des essais contrôlés, il est tentant de faire entrer sous l’ombrelle très floue des « crypto-infections » nombre de personnes en errance diagnostique. La « crypto-infection » vient alors en concurrence avec d’autres explications alléguées. Ainsi, Christian Perronne consacre-t-il un long paragraphe à critiquer, sans le nommer, le Pr Romain Gherardi qui mène un combat en fait très similaire au sien, en regroupant des malades souffrant également de symptômes très variés et mal définis, mais sous une bannière différente, celle de l’aluminium des vaccins et de la « myofasciite à macrophages ». Pour Christian Perronne, aucun doute, l’aluminium des vaccins est hors de cause. Les responsables seraient les « crypto-infections ». La preuve ? « Les quelques malades à qui on avait porté ce diagnostic et que j’ai traités se sont améliorés sous traitement anti-infectieux prolongé » (p. 242).
Le livre de Christian Perronne affirme beaucoup sur la base de témoignages et d’anecdotes personnelles. Rumeurs et approximations sont légion : calibrage délibéré des tests sérologique pour arranger les statistiques, recommandations de l’ILADS validées aux États-Unis (voir l’encadré sur ce sujet dans ce dossier de SPS), tests Western Blot interdits en France sans un test Elisa préalable (alors qu’ils sont seulement non recommandés car inutiles, et donc non remboursés dans ce cas), tests vétérinaires plus fiables, etc. Même la rumeur selon laquelle des tiques mutantes aux pouvoirs de contamination accrus se seraient échappées d’un laboratoire où l’armée américaine aurait travaillé sur la maladie de Lyme à des fins de guerre bactériologique durant la guerre froide, laboratoire situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Lyme, est relayée sans aucun regard critique 2.
Ce livre est peu convaincant. La seule chose que l’on peut reconnaître à son auteur, c’est l’empathie pour ses patients. Mais l’empathie se traduit ici par un éloignement de la méthode scientifique d’évaluation qui, finalement, ne rend pas service aux principaux intéressés, les malades, qui ont évidemment besoin d’empathie, mais aussi et surtout d’une médecine fondée sur les preuves.
« Il existe des malades dont personne ne connaît la cause du tourment. Ces malades sont irrités par notre ignorance. Parfois, ils réclament à tout prix une cause et sont indignés par ce qu’ils croient être de l’incompétence, voire un complot. Certaines de ces maladies sont évidentes comme la sclérose en plaques et (en partie) l’autisme. Il n’y a guère d’année sans qu’un “scandale” surgisse, censé expliquer ces maladies d’origine inconnue. Cela va des vaccins (contre l’hépatite ou la rougeole) jusqu’aux pesticides ou aux ondes. Le temps fait son affaire de ces « scandales », mais ces maladies restent inexpliquées […]. La dernière en date est la maladie de Lyme dont les malades errent comme des zombies, à la recherche de médecins qui finissent par se laisser convaincre qu’ils ont une maladie de Lyme.
Ce qui est réel, c’est l’épidémie d’informations non vérifiées qui s’oppose à la médecine basée sur des données vérifiables y compris sur Internet. Certains laboratoires facturent des examens fantasques, confirmant des doutes déraisonnables […]. [Une] plainte déposée par des patients pourrait bien, même à l’opposé de toute connaissance scientifique, trancher en faveur de l’irrationnel comme dans les procès contre le vaccin de l’hépatite B ! L’aveuglement des acteurs institutionnels, la validation par une référence médicale (pour le vaccin contre l’hépatite B ou pour la maladie de Lyme) et la naïveté ou le cynisme des journalistes laissent pantois.
Il faudra bien un jour mettre un frein à l’annonce d’un scandale sanitaire par jour ! Il faudra vérifier les sources, hiérarchiser les risques, afin de revenir dans le vrai monde, peut-être sous la pression d’une population lasse de tant d’informations erronées. À commencer par les malades ! »
Extrait de « Les zombies de la maladie de Lyme », tribune publiée dans Le Point du 19 novembre 2016.
Didier Raoult est professeur de médecine et spécialiste des maladies infectieuses.
1 Christian Perronne est ainsi également président du conseil scientifique de la Fédération Française Maladies Vectorielles à Tiques qui regroupe plusieurs associations afin de « diffuser des informations » et « faciliter les contacts entre les malades et les différentes institutions médicales, sanitaires et sociales ».
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