Accueil / Notes de lecture / La nature du social

La nature du social

Publié en ligne le 11 janvier 2020
LA NATURE DU SOCIAL
L’apport ignoré des sciences cognitives

Laurent Cordonier
Presses universitaires de France, 2018, 374 pages, 22 €


Vers un rapprochement critique entre sociologie et sciences cognitives.

Est-ce que l’humain est une espèce naturellement sociale ? Selon le sociologue Laurent Cordonier, comme pour d’autres groupes de primates la vie en groupe aurait été sélectionnée au cours de notre histoire évolutive au point d’avoir  « influencé la manière dont l’encéphale de nos ancêtres préhumains s’est développé » p. 9). Notre encéphale actuel aurait été  « modelé en profondeur par et pour la vie en société » p. 9). De là découleraient un certain nombre de structures et mécanismes cognitifs identiques à tous les êtres humains.

Mais que vient faire un sociologue dans le champ des sciences naturelles, fussent-elles cognitives ? Ne risque-t-on pas de voir surgir des explications sociologiques naturalisées, réduites aux fonctionnements des structures cérébrales et in fine voir le social annexé par les neurosciences ? Le risque est possible et les dérives déjà inscrites dans l’histoire des idées : justification d’inégalités, de sexisme, de racisme, d’eugénisme, etc., sous couvert de naturalisation. Serait-ce la seule possibilité ? Ne pourrait-il y avoir de place pour un naturalisme social intégratif, c’est-à-dire intégrant des méthodes et des savoirs provenant des sciences naturelles dans le champ sociologique, ceci afin d’ « aider [les sociologues] à mieux appréhender les phénomènes sociaux complexes » p. 14) comme c’est déjà le cas en anthropologie cognitive 1 à laquelle L. Cordonier consacre un chapitre ?

Entre d’un côté un naturalisme réductionniste (représenté par la sociobiologie 2) et de l’autre un naturalisme analogique (représenté par la mémétique 3), il restait une place pour un naturalisme social intégratif empirique que L. Cordonier appelle de ses vœux à la suite des travaux de Dominique Guillo, Laurence Kaufmann ou Fabrice Clément.

Mobilisant une série d’expériences et d’observations impliquant des groupes de singes, de bébés et d’enfants, L. Cordonier pointe la prépondérance de l’environnement social (en termes de compétition, hiérarchie, coopération, altruisme, etc.) sur l’environnement écologique, dans le développement de notre cerveau. Cette influence socio-environnementale lui permet d’asseoir une théorie de la cognition sociale humaine où les relations interindividuelles jouent un rôle majeur (imitation, alliance, conformisme, engagement, etc.). Elle aide à mieux comprendre par exemple les processus de socialisation ( « individualiste » chez Boudon, « structuralisme génétique » chez Bourdieu, « plurielle » chez Lahire, etc.). Au traditionnel cloisonnement « nature/société/culture » répond « influences pluralistes » entre nature et social, nature et culture, social et nature, social et culture, culture et nature, culture et social au sein d’un réseau complexe d’influences réciproques (spatiales, temporelles, échelles, interactions, etc.).

Si l’ouvrage est d’abord destiné à un public familier avec les sciences humaines, il présente, pour tout lecteur, une source d’information sur les nouvelles perspectives qui émergent dans ce champ de la recherche. En effet, par sa démarche, L. Cordonier invite à conduire des recherches à l’interface des sciences cognitives et de la sociologie afin de mieux comprendre les phénomènes sociaux complexes. Ce rapprochement proposé semble aussi inéluctable que prometteur !

1 Bloch M, L’anthropologie cognitive à l’épreuve du terrain : l’exemple de la théorie de l’esprit, Collège de France, Fayard, 2006.

2 Tort P, Misère de la sociobiologie, PUF, 1985.

3 Guillo D, La culture, le gène et le virus. La mémétique en question, Hermann, 2009.