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L’hypothèse du bonheur

Publié en ligne le 4 octobre 2011
L’hypothèse du bonheur
La redécouverte de la sagesse ancienne dans la science contemporaine

Jonathan Haidt
Éditions Mardaga, 2010, 333 pages, 22 €

Les réflexions sur les conditions du bonheur sont innombrables. On peut dégager quelques conceptions majeures qui se répètent en Occident et en Orient, depuis l’Antiquité. Jonathan Haidt, professeur de psychologie à l’université de Virginie, s’appuie sur les données actuelles de la psychologie scientifique pour examiner la validité d’une dizaine de thèmes en rapport avec la sagesse et le bien-être : les relations entre la volonté consciente et d’autres éléments de notre existence (le fonctionnement corporel, les émotions, les processus cognitifs automatisés) ; le codage subjectif des informations et la possibilité de modifier sa propre manière d’interpréter la réalité ; le fonctionnement de la réciprocité dans les sociétés animales et humaines ; les biais dans l’évaluation de soi-même et des autres ; les conditionnements environnementaux et génétiques du sentiment de bonheur ; l’importance de l’attachement, de l’amour et du don ; l’importance de faire des efforts pour des activités qui ont du sens et pour des relations interpersonnelles de qualité ; les effets tantôt nuisibles, tantôt bénéfiques du stress, des épreuves et des traumatismes ; les déterminants des règles morales et l’impact de ces règles sur le bonheur ; les conséquences psychologiques de la place, fort variable, du sacré et du divin dans l’existence. L’auteur conclut sur l’intérêt de conjuguer une part des sagesses orientales (qui promeuvent l’acceptation de certaines réalités et le souci de la collectivité d’appartenance) et une part des sagesses occidentales (qui mettent l’accent sur l’autonomie et la lutte).

Haidt montre que l’on n’a pas attendu le XXe siècle pour faire de la psychologie de qualité, mais que la psychologie scientifique n’en constitue pas moins un progrès important : la recherche objective permet de trier, de nuancer et de prolonger les énoncés les plus valables des Anciens. Par exemple, si Nietzsche croit pouvoir affirmer « ce qui ne me tue pas me rend plus fort », des observations méthodiques montrent que des situations très stressantes sont généralement néfastes pour la santé physique et mentale, mais que, dans certaines conditions, un traumatisme est une occasion de changer la hiérarchie des valeurs et de découvrir de nouvelles capacités. La tâche de la psychologie scientifique est de préciser les variables en jeu dans l’impact des traumatismes, les conditions de l’atténuation de cet impact et d’une éventuelle « croissance post-traumatique ».

Haidt se situe dans le courant de la psychologie dite « positive », inauguré par Martin Seligman, dont il a été l’étudiant à l’Université de Pennsylvanie. La seule critique que je peux faire, au terme de son magnifique ouvrage, concerne quelques lignes sur le behaviorisme, qui trahissent une conception simpliste de l’œuvre de Skinner. Haidt a mené d’importantes recherches empiriques sur la psychologie de la morale, du dégoût, des sentiments d’élévation spirituelle et de transcendance de soi. Il a une connaissance approfondie de la psychologie classique, mais est également très bien informé de nombreuses recherches actuelles. Ayant suivi des études de philosophie avant d’entreprendre celles de psychologie, intéressé par l’histoire et l’ethnologie, il nous livre un ouvrage d’une densité exceptionnelle d’informations pertinentes, des informations toujours présentées de façon claire, structurée et didactique. Son ouvrage est, à ma connaissance, une des meilleures introductions à la psychologie moderne : par sa rigueur scientifique, il se distingue de la plupart des ouvrages sur le bonheur ; par le choix des questions existentielles qu’il aborde, il se distingue de la plupart des manuels classiques de psychologie académique. Je n’hésite pas à parler de chef-d’œuvre. Je ne suis guère étonné qu’il soit déjà traduit en espagnol, italien, portugais, néerlandais et polonais.

Soulignons encore la présence d’un index lexical, mais surtout la qualité exceptionnelle de la traduction réalisée par un chercheur en psychologie, M. Van Pachterbeke. Le traducteur a pris soin de faire des notes sur la difficulté de traduire certains idiomes et s’est donné la peine de retrouver dans les ouvrages originaux (de Proust ou Durkheim par exemple) les passages qui avaient été traduits en anglais par Haidt.