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Grandes controverses en astrophysique

Publié en ligne le 12 janvier 2022
Grandes controverses en astrophysique
Suzy Collin-Zahn, préface de James Lequeux, illustrations de Paul-Etienne Zahn
EDP Sciences, coll. Spot Sciences, 2021, 214 pages, 14 €

Suzy Collin-Zahn n’est pas une anonyme : membre du comité de parrainage de l’Afis et de Science et pseudo-sciences, c’est aussi une formidable vulgarisatrice scientifique dont témoignent ses articles pour cette revue. Actuellement à la retraite, elle s’était, dans la vie active à l’Observatoire de Paris, consacrée à l’enseignement et à la recherche sur les quasars, les trous noirs, l’astronomie extragalactique...

La préface est écrite par l’historien des sciences James Lequeux, auteur de nombreuses entrées de l’Encyclopædia Universalis, ancien directeur de la station de radioastronomie de Nançay. En outre, ce livre est égayé par des illustrations humoristiques de Paul-Etienne Zahn.

Comme son nom l’indique, cet ouvrage est focalisé sur l’astrophysique, qu’on ne doit pas confondre avec l’astronomie : autant cette dernière s’enracine dans la lointaine antiquité, autant l’astrophysique, c’est-à-dire l’étude de la constitution et de l’évolution des astres, ne débute qu’au XIXe siècle, en 1811 d’après Suzy Collin-Zahn, quand François Arago démontre que le Soleil est un gaz incandescent, ou même en 1820 quand Joseph von Fraunhofer disperse la lumière du Soleil avec un prisme et observe une multitude de raies sombres. À partir de cette date, les connaissances foisonnent, malgré parfois des doutes, comme ceux d’Auguste Comte, qui énonce en 1835 : « Nous ne saurons jamais étudier par aucun moyen la composition chimique des astres. » Pourtant, à la fin du XIXe siècle, l’astrophysique s’impose et accomplit des bonds prodigieux dans les domaines théoriques et expérimentaux.

Jeune étudiante dans les années 1960, Suzy Collin-Zahn constate et admire le renouvellement complet de la cosmologie 1 : « Ma propre spécialité, qui concerne les galaxies actives et les quasars, s’est entièrement construite depuis que j’ai commencé ma recherche. […] J’ai assisté à la découverte des derniers stades de la vie des étoiles trente ans après leur prédiction théorique. […] Ces découvertes ont presque toutes suscité des controverses passionnées. »

Elle raconte quelques-unes de ces disputes. Par moments, son livre cesse d’être un simple ouvrage de vulgarisation pour devenir un témoignage direct des discussions qui animaient la communauté. Ces querelles sont parfois oralement violentes, sans jamais se transformer en chahuts à la manière des batailles d’Hernani : elles sont sans concession et se déroulent entre des gens qui se respectent, où chaque détail compte.

Ce livre est composé de vingt chapitres indépendants qui peuvent se lire dans n’importe quel ordre. Dans les trois premiers, on trouve la difficile classification stellaire, la querelle sur l’âge de l’univers et le « grand débat » de 1920 sur la nature et la position des nébuleuses. À chaque fois que cela est possible, Suzy Collin-Zahn profite en passant de l’occasion pour rendre justice à la contribution féminine négligée dans l’histoire de l’astronomie et des sciences en général : Williamina Flemming, Antonia Maury, Annie Jump Cannon et Henrietta Leavitt qui créèrent le fameux « catalogue Henry Draper », mais qui restèrent presque anonymes. Elle évoquera aussi plus tard Cecilia Payne, Caroline Herschel, Margaret Huggins, Margaret Burbidge…

Il serait excessivement long de commenter l’ensemble des controverses passionnantes qu’elle relate autour de l’expansion de l’univers, de la loi de Hubble, de la matière noire, des trous noirs, des ondes gravitationnelles, etc. Attardons-nous seulement sur celle concernant les « décalages spectraux anormaux », dispute qu’elle assure avoir « traversé de bout en bout » et être d’une « incroyable violence ». Il s’agissait pour les savants d’accepter que le décalage vers le rouge 2 des raies du spectre visible des galaxies prouve l’expansion de l’Univers, le modèle cosmologique du Big Bang. Quelques astrophysiciens, parmi lesquels le regretté Jean-Claude Pecker, ancien président de l’Afis, niaient cette interprétation. Pour eux, ce décalage pouvait provenir d’un phénomène inconnu qu’ils dénommaient « lumière fatiguée ». Ainsi, les photons perdraient graduellement de l’énergie lors de leurs parcours depuis leurs sources jusqu’à nous. La majorité absolue des astrophysiciens rejettent aujourd’hui cette thèse. Cependant, les gens intéressés peuvent retrouver cette controverse expliquée par le menu, en langage simple, dans un long chapitre du livre (p. 91 à 103). Elle est également disponible dans une revue scientifique grand public, notre revue, sous la plume de Jean-Claude Pecker : « La maladie infantile de la cosmologie : le Big Bang chaud » (SPS n° 294). Suzy Collin-Zahn, pour qui cet article est un « exposé clair du point de vue […] “non conventionnel” », y répond dans le même numéro de la revue par « La théorie du Big Bang rend bien compte des décalages observés ».

Les dernières pages des Grandes controverses en astrophysique abordent des thèmes qui sortent du cadre strict de l’astrophysique, bien que ce soient des sujets ayant donné lieu à de vives disputes : les canaux de Mars, la météorite martienne, la nature planétaire de Pluton, le principe anthropique, l’existence d’extraterrestres, etc. Enfin, Suzy Collin-Zahn s’intéresse aussi aux « fausses controverses » créées par le système médiatique dans un but mercantile, qu’elle caractérise comme des « impostures scientifiques », par exemple cette discussion (qu’elle présente avec regret) sur la valeur scientifique des doctorats des frères Bogdanov.

« Il faut ajouter, affirme-t-elle, que nous vivons une période particulière où les théories du complot fleurissent grâce au développement de l’Internet et des réseaux sociaux. Ce mode de pensée s’apparente au postmodernisme qui prévaut aussi dans l’art et la philosophie. En science, il a pris la forme du “relativisme” ». Suzy Collin-Zahn a parfaitement raison, nous partageons complètement son constat et ajoutons que pour combattre ce fléau, il y a un seul moyen : raconter et expliquer la démarche scientifique de manière claire, à la portée de tous. C’est là le plus grand mérite de ce livre qui fait le point sur nombre de questions et comporte un glossaire très bien fait et des encadrés qui approfondissent les points étudiés. Il devrait passionner les amateurs de l’histoire de l’astrophysique.

1 La cosmologie est la branche de la science qui étudie les lois qui gouvernent l’Univers, son origine, sa nature et son évolution.

2 Lorsque les astrophysiciens étudient la lumière émise par un objet astronomique lointain, ils remarquent que ses raies spectrales semblent décalées vers le rouge ou vers le bleu, les deux couleurs extrêmes du spectre de la lumière visible. La presque totalité des observations constatent des décalages vers le rouge (redshift en anglais) qui augmentent avec la distance de chaque objet.

Publié dans le n° 340 de la revue


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Auteur de la note

Arkan Simaan

Agrégé de physique, historien des sciences et romancier, (…)

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