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Inventer la préhistoire

Publié en ligne le 25 mars 2011
Inventer la préhistoire
Les débuts de l’archéologie préhistorique en France

Nathalie Richard
Vuibert/Adapt-Snes, 2008, 235 p. 25 €

Voici un ouvrage d’histoire des sciences qui satisfera ceux qui se méfient de l’influence d’un auteur comme Bruno Latour sur cette discipline. Il est question ici des controverses ayant présidé au passage d’un paradigme à l’autre en matière de temps longs de l’humanité, controverses qui sont, comme chez Bruno Latour, étudiées notamment du point de vue de l’action des acteurs et de leur insertion dans des réseaux. Mais la comparaison s’arrête là, car cette sociologie historique de la naissance d’une discipline scientifique nouvelle, l’archéologie de la préhistoire, n’implique aucun relativisme fondamental ni aucun doute sur le fait que si une théorie a fini par s’imposer, celle du temps long de l’histoire humaine, c’est bien parce qu’elle était plus conforme à la réalité et aux preuves matérielles.

« L’action se déroule en France au milieu de la deuxième moitié du XIXe siècle  » indique la 4e de couverture, qui met à juste titre en avant l’aspect « récit » – avec tout ce que cela comporte comme « action » – de ce qui est pourtant avant tout une solide étude. À l’époque, c’est d’abord la question de l’âge de la Terre qui avait fait débat, avec une émancipation progressive des « 6000 ans » indiqués par la Bible. Les premières hypothèses concernant un temps long de l’histoire humaine, bien au-delà de la chronologie biblique, sont le fait d’archéologues amateurs et provinciaux, et ne retiennent pas l’attention de l’Académie des Sciences. Les Antiquités celtiques et antédiluviennes de Jacques Boucher de Perthes font en 1849 les frais de cette extériorité aux lieux centraux de la recherche et du pouvoir scientifique, mais aussi du caractère farfelu d’autres thèses de l’auteur.

C’est en 1859, qui est aussi l’année de parution de L’origine des espèces, que se produit le retournement, pour des raisons qui ne sont pas que scientifiques, dans un contexte de montée des nationalismes en Europe : « Accepter la thèse de l’antiquité de l’homme revient alors à ne pas prendre de retard sur la science anglaise et permet même de revendiquer la priorité de la France en ce domaine en érigeant Boucher de Perthes, jusque-là ignoré, en fondateur ». C’est aussi la présentation de découvertes archéologiques réalisées à Abbeville, mises en avant par Boucher de Perthes mais dédaignées par les chercheurs les mieux établis, qui conduit en novembre 1859 la Société géologique de France à opérer sa conversion à la nouvelle thèse, en cédant au poids de la preuve mais aussi de l’autorité reconnue des archéologues qui en font, cette fois-ci, la présentation : « La conversion du monde savant à l’idée de la préhistoire ne s’est pas faite sous l’influence des seules données empiriques découvertes dans les terrains géologiques, mais aussi sous la pression de logiques institutionnelles et politiques ».

C’est à la découverte de ces données et de ces logiques qu’invite cet ouvrage à la fois érudit et très facile d’accès, qui présente ensuite la manière dont se sont élaborées les méthodes propres à la nouvelle discipline, la « préhistoire », ainsi que les premiers débats qui l’ont agitée. Et l’on saluera pour finir le choix de l’illustration de couverture, qui comblera d’aise ceux qui ont été éveillés au rationalisme par les aventures du « fils des âges farouches »...