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Gaz de schiste : les impacts environnementaux

Publié en ligne le 5 octobre 2012 - Énergie -
par Bruno Goffé - SPS n°301, juillet 2012

Pour extraire le gaz de schiste des roches très peu perméables où il a été piégé, deux technologies sont simultanément mises en œuvre : le forage horizontal qui permet d’exploiter de grandes surfaces à partir d’une seule plateforme de forage (réduisant l’emprise au sol et l’impact paysager) et la fracturation hydraulique qui vise à augmenter la perméabilité de la roche pour en faciliter l’extraction du gaz.

La fracturation hydraulique a été expérimentée au milieu du XX e siècle et est couramment utilisée pour améliorer le taux de récupération des huiles dans les réservoirs pétroliers depuis la fin des années 1940, avec un fort développement dans les années 1980 (voir encadré). Elle est également utilisée pour la géothermie ou la production d’eau potable. On estime à plus de 1 million le nombre de forages utilisant la fracturation, effectués dans le monde pour l’extraction de pétrole et de gaz 1.

Aux USA, son utilisation en masse pour l’extraction des gaz non conventionnels par des opérateurs peu contraints par une réglementation locale, ayant parfois des compétences incertaines, des urgences de rentabilité, travaillant dans des conditions mal maitrisées, pour des formations géologiques peu ou mal caractérisées, ont conduit à des accidents environnementaux.

Les risques spécifiques

Les risques associés à la production des gaz de schiste, qui doivent être correctement contrôlés, sont doubles : pollution des sols et des nappes et risque sismique. Ce sont les risques classiques auxquels sont confrontés quotidiennement, depuis plus d’un siècle, les techniciens des métiers de l’extraction du pétrole et du gaz. Cependant, ces risques, en se rapprochant des zones habitées, prennent avec les gaz non conventionnels une dimension particulièrement sensible.

La contamination des nappes d’eau potable peut être provoquée par la perte de contrôle des fluides de fracturation (en profondeur le long du puits, ou en surface où ils sont stockés), par le gaz lui-même, d’autres constituants (organiques ou minéraux) provenant du sous-sol et éventuellement par les produits chimiques utilisés. Pour éviter cette pollution, les tubes en acier destinés à conduire les fluides et les gaz sont cimentés sur les premières centaines de mètres du puits, là où les nappes phréatiques peuvent être traversées par le forage vertical. Dans la partie de fracturation horizontale, des technologies géophysiques permettent de suivre en temps réel la propagation des fractures et de détecter la présence éventuelle de failles.

La fracturation hydraulique nécessite ponctuellement une grande quantité d’eau, ce qui peut aussi générer des conflits d’usage (voir encadré).

Forage horizontal et fracturation hydraulique

Le forage horizontal

Le forage horizontal, technique développée dès les années 1970, permet de traverser la couche argileuse contenant du gaz sur une grande distance (1 à 2 kilomètres pour la partie horizontale du forage). Elle remplace le forage de plusieurs puits verticaux et augmente le volume de drainage du puits. Afin d’améliorer la productivité du puits et de rendre la production de gaz (principalement méthane) économiquement rentable, il est aussi indispensable de réaliser une fracturation hydraulique.

La fracturation hydraulique

La technique de fracturation hydraulique a été mise au point dans les années 1940 pour « stimuler » des réservoirs de mauvaise qualité. Cette technique consiste à injecter sous de très fortes pressions (plusieurs centaines de bars pour des objectifs situés entre 2000 et 3000 mètres de profondeur) un fluide de fracturation composé d’eau, d’agent de soutènement (sable) visant à éviter que les fissures ne se referment et d’additifs chimiques. La fracturation hydraulique est également utilisée dans les forages destinés à la production d’énergie géothermique.

Les additifs chimiques

Pour l’exploitation du gaz de schiste, les additifs chimiques représentent environ 0,5 % des liquides de fracturation (le reste est de l’eau – plus de 90 % – et du sable). On va retrouver des gélifiants permettant de mieux transporter le sable en suspension, des produits facilitant le passage de l’eau et du sable, par exemple en réduisant la tension superficielle de l’eau, des produits visant à prévenir les émulsions (eau et huile), des inhibiteurs de corrosion ou encore des antibactériens. Une partie du savoir-faire des exploitants repose sur la composition de ces additifs (composition maintenue secrète car aux États-Unis, la réglementation n’impose pas de rendre publique la liste des produits chimiques utilisés).

La maîtrise des risques

Ces impacts environnementaux sont, à l’évidence, très dépendants de la connaissance fine du sous-sol, des techniques utilisées, de la qualité de leur maîtrise et des réglementations.

En profondeur, la caractérisation du milieu géologique, de la disposition stratigraphique des nappes d’eau potable ou non potable, de la fracturation (naturelle ou provoquée), la compréhension des mécanismes de lessivage et des mécanismes réactionnels physico-chimiques, l’identification des chemins de migration et la compréhension du transport dans le milieu souterrain sont des connaissances préalables indispensables à acquérir.

En surface, l’élaboration de fluides de fracturation à la fois efficaces et à faible impact sur l’environnement, l’utilisation d’additifs non toxiques de qualité environnementale, l’optimisation du traitement et de la gestion des effluents, du recyclage et de la réutilisation des eaux de fracturation, la préservation des ressources en eau existantes et l’utilisation de ressources d’eau alternatives, (eaux salines d’origine profonde, effluents de stations de traitement, etc.) sont des voies à développer.

En ce qui concerne la technique de fracturation elle-même, la compréhension et la modélisation des mécanismes, l’optimisation des agents de fracturation, la simplification des étapes et l’utilisation de matériaux intelligents compatibles avec l’environnement offrent des possibilités d’amélioration.

Enfin, un système d’observation pérenne et indépendant de l’ensemble du processus d’exploitation des hydrocarbures de la roche-mère (depuis l’état des lieux initial jusqu’à la fermeture des sites après exploitation) pourrait être mis en place pour assurer la transparence de cette industrie. D’un point de vue scientifique, technique, organisationnel ou réglementaire, tous ces aspects sont à la portée des savoirs-faire actuels.

Les risques de micro-séismes

Les opérations de forage, qu’il s’agisse de forage vertical ou de forage horizontal, ne peuvent pas induire de sismicité ressentie par l’homme. Par contre, elles génèrent de très faibles vibrations qui, détectées grâce à des appareils très sensibles, peuvent être exploitées pour reconnaître les propriétés des terrains.

Pour les injections de fluide, différentes situations doivent être considérées, selon le niveau de pression d’injection. Toute perturbation de pression, comme d’ailleurs tout chargement, produit toujours une activité microsismique, plus normalement appelée émission acoustique, car les événements sont de relativement hautes fréquences (de quelques centaines de Hz à quelques dizaines de KHz). Lorsque la pression devient plus importante, ils peuvent induire des micro-glissements dont la magnitude dépend du contexte tectonique local. Ainsi, par exemple, pour les stimulations hydrauliques qui ont été menées à Soultz sous Forêts, en Alsace du Nord, dans le cadre du développement d’un site géothermique, des événements de magnitude 2.9 ont été induits alors que des volumes de l’ordre de 40 000 m3 avaient été injectés sous des pressions de surface de 13 MPa. De tels micro-séismes sont perçus par la population mais ne font pas de dégâts.

La fracturation hydraulique au sens précis du terme, est un phénomène de rupture en traction des roches qui est stable et ne donne lieu qu’à des événements de hautes fréquences (de quelques centaines de Hz voir plus) très peu énergétiques, que seuls des appareils très sensibles peuvent détecter.

Il est donc nécessaire de bien distinguer fracturation hydraulique et stimulation hydraulique. Seules les stimulations hydrauliques réalisées en l’absence de tout contrôle et dans certains contextes sismo-tectoniques précis peuvent se révéler sismo-géniques et gênantes, voire dangereuses. Les stimulations hydrauliques interviennent lors de la mise en exploitation d’un gisement. Elles cessent durant la phase de production, phase durant laquelle la pression de fluide retourne en deçà des seuils de sismicité.

François Cornet
Physicien, Institut de Physique du Globe, Strasbourg
La ressource en eau

Les opérations de forages et la fracturation hydraulique nécessitent ponctuellement une grande quantité d’eau, ce qui peut générer des conflits d’usage. Les chiffres couramment cités sur les besoins en eau sont de l’ordre de la dizaine de milliers de mètres cube par puits. Importantes en apparence, ces valeurs ramenées à la valeur énergétique unitaire restent cependant modestes en comparaison des consommations d’eau dans la production d’hydrocarbures par raffinage, très consommatrice d’eau.

Les sources d’eau utilisées pour l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis sont les eaux de surfaces (rivières, lacs) et les eaux des nappes phréatiques. Il existe peu de données collectées sur ces sources et sur l’impact de cette exploitation du fait de la multiplicité des agences de gestion de l’eau et des particularismes locaux. Une estimation de la part de consommation d’eau utilisée dans la production de gaz de schiste pour l’État de Pennsylvanie, grand producteur de ces gaz, est de 0,19 % sur une consommation annuelle totale de 14 milliards de m3.

La gestion de la ressource en eau est néanmoins préoccupante. Elle nécessite la mise en place d’une réglementation adaptée aux particularités locales et d’une recherche de source d’eau alternative, comme les eaux salées ou les eaux déjà utilisées dans d’autres utilisations industrielles ou urbaines. Le traitement et le recyclage de l’eau de retour de fracturation est aussi de plus en plus pratiqué, ce qui permet sa réutilisation, soit dans l’exploitation, soit pour d’autres usages.

B.G.

Peut-on faire autrement ?

La fracturation hydraulique à l’eau est la plus utilisée, car c’est la plus facile à imaginer et à mettre en œuvre. D’autres fluides peuvent être utilisés, tel le propane qui présente deux avantages principaux : il nécessite des volumes dix fois inférieurs à ceux de l’eau et il est entièrement récupéré.
D’autres techniques sans fracturation sont à l’étude. Elles s’appuient sur la production spontanée d’eau dans la roche-mère par déshydratation des argiles, augmentation de la fracturation naturelle et sur l’évolution structurale des kérogènes par l’utilisation de procédés de chauffage en milieu souterrain, déjà développés par ailleurs dans l’industrie pétrolière.

Produits chimiques et risques

Dans les exploitations des gaz de schiste telles qu’elles sont pratiquées aux États-Unis, principale référence aujourd’hui, les sources de pollutions ou de contaminations proviennent des produits chimiques utilisés, de l’eau souterraine, du lessivage des roches et du gaz. Les produits chimiques utilisés (une douzaine de produits par opération) sont choisis dans une palette que l’on estime autour de 750 références fournies par 2500 sociétés de service.

La liste de ces produits est en constante évolution, et les concentrations utilisées sont mal définies. Dans la plupart des cas, ce sont des produits que l’on retrouve ailleurs, comme dans les produits ménagers, les peintures ou les pesticides. Certains sont bénins, d’autres sont toxiques. On peut noter la présence de naphtalène, benzène, acrylamide et un surfactant (2-BE) connu comme cancérigène dans une centaine des produits ayant été utilisés dans les fracturations hydrauliques aux USA.

Les sources les plus fréquentes de contamination avec ces produits l’ont été à la surface, dans les opérations de préparation des mélanges et de gestion des effluents, de transport, et de stockage, lors d’accidents ou lors de déversements volontaires illégaux.

Si le risque de contamination par les produits chimiques ajoutés lors de l’opération de fracturation elle-même existe, il ne semble pas y avoir d’exemple réellement décrit et confirmé, pour des fracturations normales effectuées à grande profondeur.

En revanche, des contaminations par le gaz et les éléments chimiques d’origine naturelle lors de la rupture de la cimentation d’étanchéité des puits à proximité de la surface sont documentées. Les fuites de gaz peuvent alors se propager à l’extérieur du tube, pénétrer dans les nappes superficielles le long des plans stratigraphiques, ou jaillir à la tête du puits. Ces migrations accidentelles de gaz et surpressions peuvent conduire à des explosions sous terre ou à la surface, et à la contamination des nappes d’eau douce et des puits. Ces risques existent aussi dans le cas des exploitations de gaz conventionnels mais sont plus fréquents avec la fracturation hydraulique, du fait des hautes pressions utilisées.

Des éléments chimiques comme le fer et le manganèse, issus des aquifères (couches de terrains pouvant contenir une nappe phréatique) ou de la roche, peuvent également migrer avec l’eau de la même façon, colorant l’eau et la rendant trouble ou odorante.

Une autre source de transport à la surface d’élément chimique est l’eau de retour de la fracturation qui, outre les additifs cités ci-dessus, peut contenir des argiles en suspension, des graisses ou des huiles de forage, mais aussi des sels provenant des formations fracturées, avec des concentrations variables. Parmi ces constituants, l’arsenic peut être notablement présent, ce qui nécessite des précautions particulières dans le traitement des eaux à la surface.

B.G.

Référence : Charles G. Groat and Thomas W. Grimshaw, « Fact-Based regulation for environmental Protection in shale gas development », Energy Institute, University of Texas at Austin, Février 2012.

L’empreinte au sol

La phase de forage dure quelques semaines, rarement plus d’un mois (les puits pour l’exploitation des hydrocarbures de schiste sont à des profondeurs de 2 à 3 km, ce qui n’est pas profond pour un puits pétrolier). Durant cette phase, il y a un derrick en surface, et de nombreux dispositifs associés : retraitement des boues, des eaux, préparation des produits, entreposage du matériel de forage, etc. Le trafic de camions peut être significatif.

La phase de production s’étale sur quelques années. Elle nécessite des installations beaucoup plus discrètes en surface. Pour un gisement de gaz (conventionnel ou non), la production se fait sans pompage, par simple dépressurisation (alors que, pour le pétrole, dans de nombreux cas, il faut pomper). Sur l’illustration ci-dessous, on devine la tête de puits (au centre de la zone grise – exemple de tête de puits ci-contre).

En blanc, on distingue l’installation où la vapeur d’eau est séparée du gaz, ainsi que la petite station de compression qui va envoyer le gazproduit dans le réseau de collecte. Une zone de maintenance et de sécurité entoure l’ensemble. La zone engazonnée représente à peu près la surface utilisée lors du forage et de la mise en complétion du puits.

La fermeture du puits. L’exploitation d’un puits va cesser quand sa productivité devient insuffisante au regard des coûts. Il faut, dans un premier temps, laisser le puits ouvert et capter le gaz afin de faire diminuer la pression et éviter les fuites dans l’atmosphère. Dans un second temps, les opérations de cimentation définitive du puits seront mises en œuvre.

Roland Vially (Géologue, IFPEN)

1 Charles G. Groat and Thomas W. Grimshaw, « Fact-Based regulation for environmental Protection in shale gaz development », report Energy Institute, The University of Texas at Austin, Février 2012.