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Conséquences climatiques d’une guerre nucléaire

Publié en ligne le 9 février 2023 - Nucléaire -

La guerre en Ukraine et les menaces proférées par Vladimir Poutine à l’égard de ceux qui voudraient aider ce pays ont rappelé au monde la possibilité d’une guerre nucléaire. Nombreux sont ceux qui pensent que le risque d’un usage de ces armes dévastatrices n’a jamais été aussi élevé depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. Quelles seraient les conséquences d’un tel conflit ? La survie de l’humanité serait-elle menacée ?

Les données disponibles indiquent que l’arsenal nucléaire mondial est très largement dominé par la Russie et les États-Unis avec plusieurs milliers d’ogives chacun [1]. Les trois autres membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU (Chine, Royaume-Uni, France) possèdent quelques centaines d’armes nucléaires. L’Inde et le Pakistan sont aussi des puissances nucléaires, de même que la Corée du Nord et Israël, bien que ce dernier n’ait jamais procédé à un essai atomique.

Les leçons d’Hiroshima et de Nagasaki

Seules deux bombes nucléaires ont été utilisées dans le cadre d’un conflit, en 1945, par les États-Unis, sur les villes japonaises d’Hiroshima puis Nagasaki. La puissance de ces bombes était de 15 000 tonnes d’équivalent TNT (15 kt) pour la première et de 20 kt pour la seconde. La bombe d’Hiroshima a détruit le centre-ville sur un rayon de près d’un km et fait de gros dégâts au-delà, conduisant au décès immédiat de près de 100 000 personnes. Malgré la plus forte puissance de la seconde bombe, le bilan fut moins important à Nagasaki du fait de la topographie locale ; plusieurs dizaines de milliers de personnes furent néanmoins tuées.

Le Fleuve en hiver,
Kamisaka Sekka (1866-1942)
Cleveland Museum of Art

Les effets à long terme des radiations subies par les hibakusha (terme japonais signifiant « personne affectée par la bombe ») ont fait l’objet d’études approfondies. Ce sont d’ailleurs ces études qui ont permis d’évaluer la fréquence de survenue des cancers en fonction de la dose reçue, à la base des normes actuelles de radioprotection. Parmi les quelque 100 000 survivants irradiés, on estime qu’il y a eu 1 900 cancers supplémentaires à ce qui était attendu sans irradiation, dont environ deux cents leucémies. Des études ont aussi porté sur la descendance des personnes irradiées sans révéler d’effet décelable (voir l’article sur ce sujet dans ce dossier de Science et pseudo-sciences).

Les armes nucléaires d’aujourd’hui

Les armes actuelles sont beaucoup plus puissantes que celles utilisées en 1945. Ainsi, chaque missile embarqué par les sous-marins de la force stratégique française contient six ogives de 100 kt chacune. Les avions de la force aérienne stratégique sont équipés d’un missile d’une puissance de 300 kt. La plus puissante bombe testée par les États-Unis avait une puissance 1 000 fois supérieure à celle d’Hiroshima (15 Mégatonnes d’équivalent TNT, Mt, en 1954), loin de la Tsar Bomba de l’Union Soviétique en 1961 avec ses 57 Mt.

Les puissances nucléaires ont procédé à de très nombreux essais dont plusieurs centaines dans l’atmosphère (cinquante pour la France). Ces essais ont eu un impact local, mais ont aussi dispersé une radioactivité mesurable sur l’ensemble de la planète. Les éléments radioactifs qui ont une période de décroissance relativement courte aux échelles géologiques, comme le césium-137 (30 ans) ou le plutonium (24 000 ans) que l’on retrouve dans les sols, peuvent être attribués aux essais nucléaires, puisqu’ils n’existent pas sur Terre à l’état naturel. Malgré cette contamination globale, l’excès de radioactivité dû à ces essais reste faible en comparaison de la radioactivité naturelle portée par des éléments tels que le radon, le potassium 40 ou le carbone 14 (environ 1/10 dans les années 60, et moins de 1/100 aujourd’hui [2]) : l’impact des armes nucléaires sur la radioactivité à l’échelle globale de la planète ne serait donc pas notre souci principal en cas de guerre nucléaire (il peut en être différemment à une échelle locale, au voisinage de sites bombardés). Ce sont l’effondrement social, les famines et l’effondrement de la biodiversité qui sont les conséquences les plus à craindre pour la survie de l’humanité.

Les centres urbains

En cas de guerre nucléaire, le premier effet sera bien sûr la destruction des cibles, majoritairement les centres urbains, causant des millions, voire des centaines de millions de victimes (voir l’article sur ce sujet dans ce dossier de Science et pseudo-sciences). Mais même l’ensemble des armes nucléaires existant dans le monde sont bien loin de pouvoir cibler toutes les villes et encore moins les zones rurales. Une majorité de la population mondiale survivrait donc aux effets immédiats d’une guerre nucléaire qui utiliserait l’ensemble du stock des armes atomiques. L’humanité ne serait pas sauvée pour autant car les incendies provoqués par les destructions pourraient faire rentrer la planète dans un hiver nucléaire, avec des conséquences globales qui pourraient être dévastatrices.

L’hiver nucléaire

Neige à New York,
Robert Henri (1865-1929)

Le concept d’hiver nucléaire a été proposé dès les années 1950. Le mécanisme envisagé est que les feux initiés par les explosions pourraient émettre une très grande quantité de particules qui s’élèveraient jusqu’à la stratosphère et joueraient alors un rôle de parasol, limitant le rayonnement solaire qui arrive à la surface de la Terre et conduisant à une forte baisse des températures. Si cette baisse est suffisamment importante, la production agricole et la biodiversité pourraient être affectées au point de menacer l’ensemble de l’humanité. En effet, les récoltes pourraient être anéanties par le froid soudain, et une part importante de la population mondiale, même éloignée des sites directement touchés, pourrait mourir de froid. Dans un scénario moins extrême, la production serait très fortement diminuée au point d’être insuffisante pour nourrir la planète. Dans les deux cas, les stocks de nourriture seraient rapidement épuisés, conduisant à des famines généralisées.

Dans les années 1950, la compréhension des processus climatiques et les capacités de calcul des ordinateurs ne permettaient pas une évaluation complète de ce phénomène. Les premières simulations informatiques réalistes ont été faites dans les années 1980. Ainsi, une étude publiée en 1984 dans la revue Nature [3] concluait qu’une diminution des températures de plusieurs dizaines de degrés était possible et durerait plusieurs semaines, avec bien sûr des conséquences considérables sur l’humanité. Cependant, la guerre du Koweït en 1993 contribua à décrédibiliser ces prédictions. En effet, plusieurs scientifiques en vue, dont l’astrophysicien et vulgarisateur Carl Sagan (1934-1996), avaient annoncé que les feux déclenchés par l’armée irakienne en retraite entraîneraient des conséquences climatiques dramatiques, selon un processus similaire à celui de l’hiver nucléaire [4]. En pratique, les conséquences climatiques des feux furent très modestes et de portée locale. Les particules produites ne s’étaient pas élevées suffisamment haut dans l’atmosphère et étaient rapidement retombées au sol, limitant leur impact.

Coucher de soleil en hiver, Ivan Choultsé (1874-1939)

Cette erreur d’appréciation, mais aussi la fin de la guerre froide, sont peut-être la cause de l’absence de recherches sur le sujet dans la décennie qui a suivi. Mais en 2007, utilisant les capacités accrues des modèles de climat, une nouvelle publication confirmait le risque majeur d’un hiver nucléaire catastrophique en cas de guerre nucléaire [5]. L’hypothèse d’une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances en conflit larvé, a été particulièrement étudiée [6].

Le résultat de ces simulations reste fragile avec une forte incertitude sur la quantité de particules rejetées dans l’atmosphère par les incendies provoqués par les explosions. Les matériaux de construction et la quantité de matière combustible qu’ils recèlent sont très variables selon les villes. Mais surtout, si le souffle de l’explosion détruit les bâtiments, la configuration des ruines n’est pas favorable aux incendies intenses ; à l’inverse, les bâtiments qui restent debout sont plus propices aux feux de grande ampleur. Une autre source d’incertitude porte sur l’altitude à laquelle pourraient s’élever les particules générées par les feux. C’est là un paramètre essentiel : si elles restent dans la troposphère (jusqu’à 10-15 km), les particules seraient éliminées en quelques semaines par les pluies après s’être mélangées aux nuages. Leur impact climatique serait alors limité. Si au contraire les panaches s’élèvent jusque dans la stratosphère, à l’instar des éruptions volcaniques massives, les particules seraient isolées des nuages et pourraient avoir un impact qui durerait plusieurs années. Dans le cas d’une explosion nucléaire, l’intensité du feu apporterait l’énergie nécessaire pour que le panache s’élève haut dans l’atmosphère. Cependant, pour estimer la hauteur d’ascension des particules, il faut aussi tenir compte du fait qu’elles peuvent être chauffées par le soleil, ce qui favorise leur ascension. Ce sont là des processus dont la modélisation, imparfaite, conduit à des résultats très incertains.

Les incertitudes scientifiques

Les conséquences climatiques d’une guerre nucléaire font donc l’objet d’une controverse scientifique. Ainsi une publication récente [7] analyse les conséquences climatiques d’une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan et conclut à un impact beaucoup plus faible que celui estimé par une publication précédente [6], essentiellement car le modèle de climat simule une trajectoire des particules émises qui resterait dans les basses couches de l’atmosphère. Mais ce résultat est contesté par les auteurs de la première publication [8, 9]. Il n’y a donc pas de consensus sur les conséquences climatiques d’une guerre nucléaire, bien qu’il y ait clairement le potentiel pour des conséquences dramatiques bien au-delà des zones directement touchées par le conflit.

L’Hiver, Frits Thaulow (1847-1906), Nasjonalmuseet, Oslo

La question pourrait progresser en s’appuyant sur l’analyse des gigantesques incendies de forêt qui se sont produits récemment en Australie et en Amérique du Nord, et qui risquent de devenir plus fréquents avec l’intensification du réchauffement climatique. Leur mécanisme et les particules produites présentent des similitudes avec ce qui pourrait survenir en termes d’incendies suite à une attaque atomique. C’est notamment le cas pour le transport de particules jusqu’à la haute atmosphère qui a été observé à plusieurs reprises dans le cas d’incendies en Australie et au Canada. Il reste à bien comprendre la quantité de particules émises, la part qui rejoindrait la haute atmosphère, et les facteurs qui favorisent ce transport.

Références


1 | « Classement des États du monde par arsenal nucléaire en 2020 », septembre 2021. Sur atlasocio.com
2 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Les essais atmosphériques d’armes nucléaires : des retombées radioactives à l’échelle planétaire », fiche d’information, 2015. Sur irsn.fr
3 | Covey C et al., “Global atmospheric effects of massive smoke injections from a nuclear war : results from general circulation model simulation”, Nature, 1984, 308 :21-5.
4 | Sagan C, Turco R, “A weapon beyond control : Environment. The pall of soot from torched gulf oil facilities would spread famine to noncombatants across Asia”, Los Angeles Times, 30 janvier 1991. Sur latimes.com
5 | Robock A et al., “Nuclear winter revisited with a modern climate model and current nuclear arsenals : Still catastrophic consequences”, J Geophys Res Atmos, 2007, 112 :1-14.
6 | Robock A et al., “Climatic consequences of regional nuclear conflicts”, Atmos Chem Phys, 2007, 7 :2003-12.
7 | Reisner J et al., “Climate Impact of a regional nuclear weapons exchange : an improved assessment based on detailed source calculations”, J Geophys Res Atmos, 2018, 123 :2752-72.
8 | Robock et al., “Comment on ‘Climate impact of a regional nuclear weapon exchange : an improved assessment based on detailed source calculations’”, J Geophys Res Atmos, 2019, 124 :12953-8.
9 | Reisner J et al., “Reply to Comment on ‘Climate impact of a regional nuclear weapon exchange : an improved assessment based on detailed source calculations’”, J Geophys Res Atmos, 2019, 124 :12959-62.