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Les pesticides, une menace pour la biodiversité terrestre

Publié en ligne le 5 mai 2024 - Environnement et biodiversité -
Cet article présente une partie des résultats de l’expertise scientifique collective « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques, Expertise scientifique collective Inrae-Ifremer » financée par l’Office français de la biodiversité (OFB) via le Plan Écophyto. Laure Mamy, Stéphane Pesce et Wilfried Sanchez en ont été co-pilotes scientifiques et Sophie Leenhardt cheffe de projet.

Chaque année, entre 55 000 et 70 000 tonnes de pesticides, réglementairement nommés produits phytopharmaceutiques (voir le premier encadré ci-dessous), sont vendues sur les territoires de la France métropolitaine et d’outre-mer, essentiellement pour des usages agricoles. Lors des traitements réalisés pour protéger les cultures, la majeure partie de ces produits atteint le sol, soit parce qu’ils y sont appliqués directement, soit parce que la pluie a lessivé le feuillage des plantes traitées. Dans le sol, les produits phytopharmaceutiques sont soumis à des processus physiques, chimiques et biologiques qui vont conditionner leur mobilité, leur persistance et leur transfert vers les autres compartiments de l’environnement (eau, plante, atmosphère). Cela a des conséquences potentielles sur les organismes exposés et in fine sur la biodiversité et les services écosystémiques qui en dépendent. Le sol occupe donc une position centrale dans la régulation du devenir et des effets des produits phytopharmaceutiques dans l’environnement.

Dans ce contexte, à la demande des ministères en charge de la Transition écologique, de l’Agriculture et de la Recherche, l’Inrae et l’Ifremer ont récemment mené une expertise scientifique collective pour réaliser un état des lieux des connaissances scientifiques relatives aux impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques le long du continuum terre-mer [1]. Cet article présente les principaux résultats de cette expertise en ce qui concerne la biodiversité du sol et des écosystèmes terrestres en général. Le lecteur se référera au rapport complet pour le détail des références scientifiques à l’appui des affirmations reportées dans ce texte ; seules sont indiquées les références les plus importantes.

Malgré l’ampleur de la bibliographie traitant des impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité terrestre, l’examen des connaissances disponibles a montré la difficulté à généraliser des résultats à partir de connaissances qui présentent un caractère particulièrement discontinu et hétérogène. Cette fragmentation des connaissances est notamment liée aux objets étudiés, qu’il s’agisse des produits phytopharmaceutiques comme de la biodiversité, qui recouvrent de nombreuses entités (substances, espèces, habitats…), dont une grande partie n’est pas connue ou pas traitée. Elle est aussi liée à la diversité des conditions environnementales et des pratiques agricoles qui rend d’autant plus difficile la généralisation. Toutefois, la complémentarité des approches utilisées et la diversité des objets d’étude existant dans les publications disponibles permettent de dégager des faisceaux de convergence qui sont présentés ici.

Le sol, réservoir d’une grande biodiversité

Le sol est l’un des principaux réservoirs de biodiversité sur Terre [2, 3]. Presque toutes les branches du vivant y sont représentées : végétaux, microorganismes (bactéries, champignons, microalgues…), invertébrés (mille-pattes, fourmis, vers de terre…) et vertébrés (taupes, crapauds, reptiles…) [3, 4]. Du point de vue taxonomique, plus de 25 % des espèces décrites sur Terre sont présentes dans les sols. En outre, la biodiversité terrestre inclut aussi des espèces qui ont besoin du sol pour assurer une partie de leur cycle de vie (stades larvaires, gîtes de reproduction, alimentation…) telles que les oiseaux ou les amphibiens. Ainsi, la proportion des espèces dépendant des écosystèmes terrestres s’élève à plus de 40 % [3, 4].

Au-delà des services que les écosystèmes terrestres rendent aux sociétés humaines, comme la production végétale, ils soutiennent d’importantes fonctions écologiques telles que la décomposition de la matière organique ou la régulation des flux d’eau. Or la biodiversité terrestre est dégradée par les activités humaines et notamment par l’agriculture qui repose largement sur l’usage des produits phytopharmaceutiques.

Labour dans le Nivernais, Rosa Bonheur (1822-1899)

Effets directs et indirects sur la biodiversité terrestre

L’exposition aux produits phytopharmaceutiques peut entraîner des effets directs et indirects sur les organismes terrestres. Ces effets varient selon les produits phytopharmaceutiques, les niveaux d’exposition et les contextes environnementaux mais certains groupes d’organismes sont plus particulièrement affectés (voir l’encadré sur les organismes terrestres).

Les effets directs et indirects peuvent provoquer la mort des organismes exposés (effets létaux) ou induire une détérioration de leur santé (effets sublétaux). Une partie des effets directs est en lien avec le mode d’action des produits phytopharmaceutiques, c’est-à-dire avec le mécanisme permettant d’éliminer l’agresseur visé : par exemple, certains insecticides attaquent le système nerveux des insectes tandis que certains herbicides sont conçus pour bloquer la photosynthèse des espèces végétales. Les effets directs, désirés ou non, dépendent donc en premier lieu des propriétés toxiques des produits considérés, mais aussi de leur utilisation, de leur comportement dans l’environnement (mobilité, persistance, transformation) et de leur biodisponibilité (degré auquel ils peuvent être absorbés ou métabolisés par un organisme). De plus, ces effets dépendent de la sensibilité des différentes espèces exposées et de leurs capacités d’adaptation. Toutefois, de plus en plus d’effets directs sublétaux non prévus et sans relation claire avec le mode d’action connu des produits phytopharmaceutiques sont mis en évidence aussi bien en laboratoire que dans l’environnement, comme la perte d’orientation, le dysfonctionnement des systèmes nerveux, immunitaire ou endocrinien, ou encore la perturbation des interactions avec les microbiotes (c’est-à-dire l’ensemble des microorganismes hébergés par l’hôte et qui contribuent, pour la plupart, à sa santé). Ces fonctions physiologiques étant très répandues dans le monde vivant, les effets des produits phytopharmaceutiques peuvent ainsi se manifester sur un large éventail d’espèces. Cependant, le champ de recherche concernant l’étude de ces effets reste encore très ouvert, et peu de travaux parviennent à décrire la relation entre des perturbations sublétales, la capacité à survivre et à se reproduire des individus et la dynamique des populations impactées.

Qu’est-ce qu’un produit phytopharmaceutique ?


Majoritairement utilisés pour la protection des cultures, les produits phytopharmaceutiques sont aussi employés pour la gestion des jardins, espaces végétalisés et infrastructures (voies ferrées, terrains de sport…), même si ces usages non agricoles ne cessent de diminuer en raison de l’évolution de la réglementation sur le sujet. Les produits phytopharmaceutiques sont d’origine synthétique ou naturelle (extraits de géranium, extraits d’algues…). Certains ont le statut de produits de biocontrôle tel que défini par le code rural et de la pêche maritime (article L-253-6), s’agissant de substances naturelles, de phéromones ou d’organismes vivants. Les produits phytopharmaceutiques commercialisés sont composés de substances actives qui ont des propriétés herbicides (visant à éliminer les « mauvaises herbes » ou adventices), insecticides (pour éliminer les insectes indésirables tels que les pucerons) ou encore fongicides (élimination des champignons phytopathogènes comme les moisissures ou le mildiou). Ils comprennent aussi des adjuvants (antigel, colorant, solvant…) et des co-formulants (agents mouillants, émulsifiants…). Après leur application, les produits phytopharmaceutiques sont susceptibles de se dégrader dans le sol, l’eau ou l’air, sous l’action de processus d’origine biologique (dégradation par des microorganismes) ou non biologique (photolyse, hydrolyse...). Dans certains cas la dégradation peut être totale, dans d’autres elle conduit à des produits de transformation plus ou moins persistants. Ainsi, les produits phytopharmaceutiques et leurs produits de transformation contaminent l’environnement, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur les organismes qui y vivent et sur la santé humaine. De ce fait, en juin 2022, la Commission européenne a mis en place le Pacte vert pour l’Europe ou « Green deal » qui préconise de « réduire de 50 % l’utilisation des pesticides chimiques et les risques qui leur sont associés d’ici à 2030 ».

Les effets indirects des produits phytopharmaceutiques s’exercent essentiellement par la réduction des ressources alimentaires due à l’élimination de plantes ou d’insectes supports de nourritures de différents organismes, ainsi que par la perte d’habitats, suite notamment à l’application d’herbicides sur la végétation. De plus, ils peuvent modifier les activités de prédation de certaines populations d’organismes auxiliaires des cultures (par exemple, des coccinelles qui ont été préalablement exposées à certains insecticides consomment ensuite moins de pucerons ravageurs que des coccinelles qui n’ont jamais été exposées) ou les rapports de compétition vis-à-vis de la ressource alimentaire (par exemple, la diminution des ressources florales suite à l’usage des herbicides réduit la quantité de pollen et de nectar disponible pour les pollinisateurs).

Chemin montant dans les hautes herbes, Auguste Renoir (1841-1919)

Une combinaison d’impacts sur l’environnement

Dans les écosystèmes terrestres, les organismes sont exposés à des mélanges de produits phytopharmaceutiques, de manière simultanée ou successive. La temporalité des expositions dépend principalement des pratiques agricoles et de la persistance des produits utilisés (qui dépend elle-même des propriétés des substances, des sols et des conditions climatiques). La complexité de l’exposition dans ces écosystèmes inclut également d’autres types de substances chimiques ayant des effets potentiels sur la biodiversité, comme les substances pharmaceutiques humaines et vétérinaires véhiculées par les matières fertilisantes d’origine résiduaire utilisées en agriculture (par exemple les effluents d’élevage et les boues de stations d’épuration urbaines). Par ailleurs, la pression exercée par les produits phytopharmaceutiques et d’autres substances chimiques sur la santé des organismes, leurs habitats et leurs ressources alimentaires se combine dans l’environnement à d’autres sources de stress dont les principales sont la destruction des habitats liée à l’urbanisation, le changement d’usage des sols, la surexploitation des ressources biologiques, les évolutions liées au changement climatique, et l’arrivée (fortuite ou volontaire) d’espèces végétales et animales envahissantes [5]. Face à ces pressions multifactorielles, certains organismes réagissent mieux que d’autres, ce qui modifie les équilibres au sein des écosystèmes : par exemple, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques peut être défavorable à la santé des cultures lorsque les agresseurs (par exemple des pucerons) y résistent mieux que les auxiliaires (par exemple des coccinelles). D’une manière générale, la responsabilité relative de ces produits dans l’érosion de la biodiversité terrestre reste difficile à quantifier dans ce contexte multifactoriel [1].

Les organismes terrestres les plus affectés


Les produits phytopharmaceutiques contribuent au déclin constaté depuis plusieurs décennies des populations d’invertébrés terrestres (insectes, vers de terre…) et d’oiseaux, en particulier dans les espaces agricoles [1, 2, 3]. Plusieurs études ont démontré en Europe cette relation entre l’usage de ces produits et le déclin des insectes et des oiseaux [2, 3]. Tous les groupes d’invertébrés sont affectés mais les lépidoptères (papillons), les hyménoptères (abeilles, bourdons...) et les coléoptères (coccinelles, carabes...) sont les plus touchés [1, 3]. Aux effets directs s’ajoutent les effets indirects des herbicides sur les plantes et leurs conséquences sur les habitats et les ressources alimentaires des différentes populations d’invertébrés [1, 4]. Selon les espèces d’oiseaux et leur régime alimentaire, l’impact des pre semences traitées par des oiseaux granivores ou à l’ingestion de proies contaminées par des rapaces, soit d’effets indirects principalement dus à la diminution de la ressource alimentaire suite au déclin des proies, ou à une intoxication suite à la consommation de proies contaminées par certains de ces produits pour les oiseaux insectivores [1, 2, 5].

Les produits phytopharmaceutiques sont aussi fortement suspectés de contribuer à la diminution des populations d’amphibiens (grenouilles, crapauds…) [6]. Cependant, la description des mécanismes conduisant au déclin de ces populations à partir de leurs effets toxiques reste difficile, en particulier parce que l’exposition des amphibiens à ces produits concerne à la fois le milieu aquatique et le milieu terrestre selon les modes et les stades de vie. Il est donc difficile de discriminer les effets liés à une exposition strictement aquatique, ou strictement terrestre, ou à la combinaison des deux [7].

Les conséquences sur les autres groupes biologiques terrestres (microorganismes, végétaux, vertébrés autres que ceux détaillés ici) sont moins étudiées, mais quelques tendances émergent [1]. De rares travaux montrent que les plantes non cultivées sont impactées par les herbicides avec une baisse de biomasse et de floraison, et des changements de composition. En outre, en impactant négativement la pollinisation en raison de leurs effets délétères sur les insectes, les produits phytopharmaceutiques peuvent réduire la production végétale, ce qui est contraire à l’effet attendu (augmentation des rendements) [1]. Des résultats suggèrent que les microorganismes des sols sont impactés par les fongicides, dans leur diversité et dans leur activité, avec un effet logiquement plus marqué sur les communautés fongiques que bactériennes. Enfin, peu d’études se sont intéressées aux effets sur les reptiles. Celles qui sont disponibles concernent principalement les lézards et les résultats révèlent des diminutions d’abondance, de taux de survie ou des modifications de la proportion entre les mâles et les femelles dans les populations exposées [1]

Références
1 | Mamy L et al., « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques », Expertise scientifique collective Inrae-Ifremer, 2022. Sur hal.inrae.fr
2 | Rigal S et al., “Farmland practices are driving bird population decline across Europe”, PNAS, 2023, 120 :e2216573120.
3 | Sanchez-Bayo F, Wyckhuys KAG, “Worldwide decline of the entomofauna : a review of its drivers”, Biol Conserv, 2019, 232 :8-27.
4 | Prosser RS et al., “Indirect effects of herbicides on biota in terrestrial edge-of-field habitats : a critical review of the literature”, Agric Ecosys Environ, 2016, 232 :59-72.
5 | Bright JA et al., “A review of indirect effects of pesticides on birds and mitigating land-management practices”, RSPB Research Report n° 28, 2008. Sur semanticscholar.org
6 | Kiesecker JM, “Global stressors and the global decline of amphibians : tipping the stress immunocompetency axis”, Ecol Res, 2011, 26 :897-908.
7 | Ockleford C et al., “Scientific opinion on the state of the science on pesticide risk assessment for amphibians and reptiles”, EFSA J, 2018, 16 :e05125.

Des fonctions écologiques perturbées

Les organismes présents dans les écosystèmes terrestres sont impliqués dans de nombreuses fonctions écologiques [3]. Ils contribuent notamment à la régulation des échanges gazeux (photosynthèse, respiration…), la dissipation des contaminants (c’est-à-dire leur élimination du milieu naturel), la régulation des flux d’eau (permettant par exemple de réduire les risques d’inondation), la production de matière organique nécessaire à la fertilité des sols, la régulation des cycles biogéochimiques (carbone, azote, phosphore…), ou encore la fourniture et le maintien des habitats et biotopes [1]. Or les connaissances disponibles montrent que de nombreuses fonctions écologiques sont impactées par les produits phytopharmaceutiques. C’est par exemple le cas de la régulation des cycles biogéochimiques dans le sol, avec des effets négatifs de certains produits phytopharmaceutiques (fongicides, cuivre) sur les organismes contribuant à la dégradation de la matière organique (microorganismes, invertébrés), ce qui se traduit par une plus faible mise à disposition des nutriments (azote, phosphore…) [1]. Toutefois, les données existantes sont encore très insuffisantes pour évaluer les conséquences des produits phytopharmaceutiques sur l’ensemble des fonctions écologiques associées aux écosystèmes terrestres, y compris dans les cas où des impacts indirects positifs pourraient être observés (par exemple, le désherbage des légumineuses qui pourrait favoriser la fixation d’azote).

La Plaine de Chailly avec herse et charrue, Jean-François Millet (1814-1875)

En ce qui concerne les services écosystémiques, qui représentent les bénéfices tirés par les populations humaines de la biodiversité et des fonctions écologiques, les travaux de recherche procèdent généralement à l’échelle du système de culture et non de la seule application des produits phytopharmaceutiques. Il est cependant démontré que ces produits détériorent le service de régulation naturelle des bioagresseurs. Si, à court terme, les produits phytopharmaceutiques peuvent remplacer efficacement le service de régulation naturelle en ayant un impact positif sur l’approvisionnement alimentaire, à long terme, la détérioration de ce service aggrave la dépendance de la production alimentaire vis-à-vis des produits phytopharmaceutiques [1]. D’autre part, certains produits phytopharmaceutiques (notamment les néonicotinoïdes) ont un impact négatif sur le service de pollinisation ainsi que sur la lutte contre les ravageurs qui sous-tendent la production végétale, avec à terme des conséquences négatives sur cette dernière [1]. Enfin, les produits phytopharmaceutiques auraient un impact négatif en termes de régulation et de maintien de la qualité des sols [1]. Ces résultats restent toutefois à consolider.

Le cas des néonicotinoïdes


Les néonicotinoïdes sont une famille d’insecticides systémiques, c’est-à-dire qu’ils se diffusent dans toute la plante traitée pour la protéger des insectes ravageurs. Ils agissent sur le système nerveux des insectes en ciblant les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine dans le cerveau, lesquels sont impliqués dans de nombreuses fonctions au niveau du système nerveux central : transmission neuromusculaire, contrôle des mouvements...

En agriculture, les cinq substances néonicotinoïdes qui ont été les plus utilisées sont l’acétamipride, la clothianidine, l’imidaclopride, le thiaclopride et le thiaméthoxame. Elles sont interdites d’usage en France depuis le 1er juillet 2020 [1], sauf dérogation.

Les néonicotinoïdes affectent les insectes pollinisateurs notamment car, en raison de leur caractère systémique, ils sont retrouvés dans le pollen, le nectar et d’autres parties végétatives des plantes. Ils ont des effets négatifs marqués au niveau individuel (mortalité, perte de mobilité, échec du retour à la ruche…) mais aussi au niveau des populations, avec un déclin observé des colonies depuis de nombreuses années [2]. D’autre part, l’exposition aux néonicotinoïdes favorise l’augmentation de la sensibilité des pollinisateurs aux maladies et aux parasites [2].

De nombreux résultats montrent par ailleurs que les néonicotinoïdes affectent la survie, la croissance, la reproduction ou encore l’activité de fouissage des vers de terre lorsque ceux-ci se retrouvent dans des sols contaminés [2].

Les néonicotinoïdes sont également mis en cause dans le déclin des oiseaux. Ils sont exposés à ces insecticides par leur alimentation, via la consommation de semences traitées ou d’insectes eux-mêmes préalablement contaminés [2]. Outre leur effet létal, les néonicotinoïdes entraînent des perturbations de l’efficacité du vol des oiseaux, l’altération des capacités de fuite, des pertes de poids ou des problèmes de reproduction [2].

Enfin, des travaux ont montré que les néonicotinoïdes ont des effets négatifs (croissance, reproduction, déplacement) sur les mammifères (cerfs, chevreuils, rongeurs…) et les reptiles (lézards) [2].

Références
1 | Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », 23 septembre 2023. Sur ecologie.gouv.fr
2 | Mamy L et al., « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques », Expertise scientifique collective Inrae-Ifremer, 2022. Sur hal.inrae.fr

Et demain ?

L’impact négatif direct et indirect des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité est déjà bien documenté, notamment pour certaines familles de molécules (voir l’encadré sur les néonicotinoïdes). Des lacunes de connaissance persistent cependant, en particulier sur certains produits (voir l’encadré « Zoom sur trois produits phytopharmaceutiques »), certains types d’effets (sublétaux, synergiques, cumulatifs...), certaines espèces moins étudiées, et la plupart des fonctions écologiques et services écosystémiques. Différents leviers d’action peuvent toutefois d’ores et déjà être mobilisés pour réduire les impacts négatifs sur la biodiversité terrestre : réduire les quantités appliquées, mieux gérer le compartiment sol pour limiter les transferts de produits phytopharmaceutiques (par exemple, en agissant sur le travail du sol ou les pratiques d’irrigation) et aménager le paysage en conservant notamment les connectivités écologiques (haies, zones boisées...) entre les zones traitées et celles qui ne le sont pas. En effet, le paysage est un élément clé pour préserver les habitats et les zones refuges de la biodiversité, conditionnant ainsi les capacités de récupération des écosystèmes. La réglementation européenne doit aussi continuer d’évoluer pour mieux évaluer et prévenir les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité en élargissant la gamme des organismes considérés dans l’évaluation des risques, en prenant en compte leurs effets sublétaux, ou encore les effets des mélanges de produits.

Automne doré, Isaac Levitan (1860-1900)

Les produits phytopharmaceutiques sont développés pour protéger les cultures. Produire un effet sur le vivant constitue donc fondamentalement la raison même de leur utilisation. Depuis plusieurs années, l’attention croissante portée à la préservation de la biodiversité s’est traduite par la nécessaire recherche d’un compromis entre effets sur les organismes ciblés (ravageurs) et effets non désirés sur les organismes non ciblés, dans une approche bénéfice/risque. Dans cette optique, certaines caractéristiques comme la toxicité CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique), la persistance et la prédisposition à la bioaccumulation ont conduit au retrait progressif de produits parmi les plus préoccupants. Cependant, le remplacement d’un produit par un autre s’est révélé, dans différents cas, générateur d’autres effets sur les organismes non ciblés. Ainsi, coupler protection de la biodiversité et protection des cultures nécessite de favoriser d’autres pratiques agricoles permettant de réguler les ravageurs telles que l’augmentation de la diversité des cultures dans les rotations ou l’agroforesterie [6].

Références


1 | Mamy L et al., « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques », Expertise scientifique collective Inrae-Ifremer, 2022. Sur hal.inrae.fr
2 | Bardgett RD, van der Putten WH, “Belowground biodiversity and ecosystem functioning”, Nature, 2014, 515 :505-11.
3 | Blanchart E et al., « La biodiversité des sols, un bien commun au service de tous », Étude Gestion Sols, 2023, 30 :75-81.
4 | Food and Agriculture Organization, “State of knowledge of soil biodiversity : status, challenges and potentialities”, Rapport, 2020. Sur fao.org
5 | Díaz S et al., « Le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques : résumé à l’intention des décideurs », Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, 2019. Sur files.ipbes.net
6 | Tibi A et al., « Protéger les cultures en augmentant la diversité végétale des espaces agricoles », synthèse du rapport d’expertise collective Inrae-Ifremer, octobre 2022. Sur gestion-diversite-vegetale.colloque.inrae.fr

Zoom sur trois produits phytopharmaceutiques


Le rapport complet de l’expertise scientifique collective [1] comporte plus de 1 400 pages. Plusieurs annexes détaillent des points particuliers. Nous reproduisons ici les conclusions relatives à trois produits phytopharmaceutiques ou catégories de produits spécifiques.

Le glyphosate
Le glyphosate est un herbicide systémique à large spectre d’action appliqué sur le feuillage des adventices. C’est l’un des herbicides les plus utilisés au monde. Il agit en inhibant une enzyme (EPSPS) impliquée dans la biosynthèse des acides aminés, ce qui conduit à l’arrêt de la synthèse des protéines et entraîne la sénescence de la plante.

« En France, et plus généralement en Europe, le glyphosate et son principal produit de transformation, l’AMPA, [sont très] fréquemment détectés dans les sols et dans les milieux aquatiques continentaux. Dans ces derniers [qui font l’objet de suivis réglementaires dans le cadre de la directive-cadre européenne sur l’eau (Directive-cadre sur l’eau 2000/60/CE), les taux de détection du glyphosate et de l’AMPA dans les eaux de surface sont respectivement supérieurs à 40 % et 60 %, et les concentrations peuvent dépasser 1 µg/L en petits bassins versants agricoles ou en milieu urbain. En milieu marin, ces substances restent peu recherchées mais les connaissances disponibles montrent des niveaux de concentration en glyphosate relativement élevés à proximité du littoral, autour du µg/L, comparativement aux autres herbicides dissous détectés jusqu’à présent dans ces milieux. Dans [l’atmosphère], des campagnes de surveillance récentes ont également permis de quantifier le glyphosate dans des zones rurales, urbaines et périurbaines avec des fréquences moyennes de détection proches de 64 % et qui augmentent légèrement (autour de 75 %) dans des zones de grandes cultures, viticulture et arboriculture, avec des pics de concentration pouvant dépasser ponctuellement 1 ng/m3. Cette contamination généralisée de l’environnement par le glyphosate entraîne des impacts directs sur les producteurs primaires non ciblés, en particulier ceux qui présentent la plus grande sensibilité à la toxicité de cet herbicide. L’impact du glyphosate sur les végétaux peut aussi découler d’effets indirects suite à la perturbation des mycorhizes et des communautés microbiennes rhizosphériques. Ces impacts directs et indirects sur les producteurs primaires se répercutent sur les invertébrés (en particulier les pollinisateurs) et les vertébrés (en particulier les oiseaux) du fait d’une altération de leur habitat ou de leurs ressources trophiques. Cependant, ce type d’impact est principalement la conséquence de l’action de désherbage et il pourrait donc être observé avec d’autres […] herbicides ou d’actions de désherbage non chimique.

À l’exception des producteurs primaires, la littérature [scientifique] fait état d’effets directs relativement limités du glyphosate et de l’AMPA sur les différents organismes terrestres et aquatiques qui font l’objet d’études, lorsque ces derniers sont exposés à des concentrations proches de celles détectées dans l’environnement. Durant leur phase terrestre, les amphibiens sont cependant particulièrement exposés au glyphosate, ce qui peut présenter des risques accrus pour ces organismes. Par ailleurs, plusieurs études décrivent des effets possibles sur le microbiote de différentes espèces incluant des larves d’abeilles, des oiseaux, des mammifères ou des amphibiens. »

Les fongicides SDHI
Les SDHI (Succinate DeHydrogenase Inhibitors), tels que le boscalid, le bixafen ou le fluopyrame, sont des fongicides à large spectre d’action qui inhibent le fonctionnement de la chaîne respiratoire des champignons. Ils sont utilisés depuis une vingtaine d’années pour le traitement des maladies fongiques des céréales, de la vigne, des vergers, des légumes et des plantes ornementales.

« L’analyse du corpus [bibliographique] mobilisé dans cette expertise scientifique collective fait apparaître un nombre très restreint d’études concernant les SDHI, mettant ainsi en évidence un déficit de connaissances scientifiques sur la contamination des milieux par ces substances et les effets qui en découlent sur la biodiversité, et les fonctions [écologiques] et services écosystémiques. L’analyse de la littérature [scientifique] suggère toutefois que lorsqu’ils sont recherchés, les SDHI, et en particulier le boscalid, sont fréquemment quantifiés dans les différents compartiments de l’environnement. Cela engendre notamment des effets sur les microorganismes (y compris dans le microbiote de certains organismes) et les populations de nématodes non ciblés par les usages de ces substances. Cependant, les connaissances sur ces différents effets restent très fragmentaires. »

Le cuivre
Le cuivre est employé en agriculture depuis le XIXe siècle, notamment pour son action fongicide.

« L’utilisation généralisée du cuivre comme produit phytopharmaceutique, en agriculture conventionnelle et biologique ainsi que pour des usages non agricoles, qui s’ajoute à son origine naturelle et son utilisation comme biocide pour de nombreuses applications, font de cette substance un contaminant ubiquiste dans les différents compartiments de l’environnement, où il a tendance à s’accumuler au cours du temps. En l’absence d’une remédiation active (par exemple par phytoextraction), le cuivre va donc persister dans les sols et être transféré vers les milieux aquatiques adjacents, et in fine dans le milieu marin.

Cette contamination impacte la biodiversité et les fonctions écosystémiques, en particulier à travers des effets sur les communautés microbiennes phototrophes et hétérotrophes et sur les invertébrés terrestres et aquatiques, les connaissances concernant les autres groupes biologiques restant à ce jour relativement peu documentées. Pour diminuer les quantités de cuivre appliquées, des procédés de nanoencapsulation commencent à être utilisés, mais il y a actuellement un manque de connaissances concernant les risques associés à leur l’utilisation. Au niveau européen, tout nanopesticide […] devra être évalué avant d’être mis sur le marché (EFSA, Autorité européenne de sécurité des aliments, 2018). »

Référence
1 | Mamy L et al., « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques », Expertise scientifique collective Inrae-Ifremer, 2022. Sur hal.inrae.fr

La fertilité des sols agricoles : une notion évolutive au contour mal défini


La fertilité d’un sol est une notion difficile à définir et encore plus à mesurer ; dans une acception générale il s’agit de l’aptitude d’un sol à assurer les besoins des plantes cultivées. Souvent on apprécie la fertilité d’un sol à l’aide de paramètres physico-chimiques : profondeur de sol, texture (teneur en argile, etc.), teneur en matière organique, en azote, en phosphore, en potassium, etc. Mais si ces informations sont nécessaires, elles sont insuffisantes ; par exemple, l’activité biologique des sols est difficile à apprécier, et l’on est toujours à la recherche d’indicateurs simples et faciles à utiliser dans ce domaine. Enfin, la présence ou l’accumulation d’éléments toxiques dans le sol doit être prise en compte : sel, traces métalliques toxiques (cadmium, aluminium, cuivre, etc.), pesticides, etc.

On peut considérer que « la fertilité d’un sol, dans son contexte pédoclimatique, peut se définir par l’importance des récoltes qu’il porte lorsque lui sont appliquées les techniques culturales qui lui conviennent le mieux » [1]. Cette définition implique que c’est le niveau de rendement qui sert de mesure à la fertilité. Mais elle a deux inconvénients : la fertilité dépendrait alors du niveau d’intrants qu’on applique sur le sol ; et elle dépendrait alors non seulement de la parcelle, mais aussi de la culture : une parcelle peut être fertile pour cultiver de la vigne ou de l’olivier, mais ne pas convenir pour des cultures annuelles. Le rendement des cultures annuelles (par exemple le blé) a progressé au cours du XXe siècle de manière spectaculaire : de 14 quintaux/ha en 1940 à 70 quintaux/ha dans les années 2000. Cette augmentation n’est toutefois due qu’en partie à l’amélioration de la fertilité (essentiellement aux apports d’engrais qui ont enrichi le sol en éléments minéraux) ; en réalité, une partie provient du développement des produits phytosanitaires et une autre, importante, de l’amélioration génétique.

L’activité biologique du sol est souvent invoquée comme essentielle pour sa fertilité.

Un essai de longue durée a été mené en comparant deux systèmes en agriculture biologique à deux systèmes conventionnels [2]. On observe qu’au bout de 21 ans d’essai, l’activité microbiologique (mesurée par la biomasse microbienne, les mycorhizes, etc.) ainsi que la faune du sol (quantité de vers de terre, de carabes, etc.) sont plus importantes en agriculture biologique qu’en conventionnel. On peut donc considérer que, de ce point de vue, la fertilité du sol est meilleure en agriculture biologique ; toutefois, dans cette expérimentation, les rendements en blé en agriculture biologique atteignent seulement 60 à 70 % de ceux des systèmes conventionnels, tandis que pour la pomme de terre ils atteignent 58 à 66 %. Une bonne activité biologique des sols n’est donc pas synonyme de bons rendements, mais elle est nécessaire en agriculture biologique pour atteindre des rendements en moyenne supérieur à ceux de 1940 en France (35 à 40 quintaux/ha en blé).

Les agriculteurs se sont de tous temps préoccupés de maintenir la fertilité pour préserver leurs rendements et donc leurs revenus. Bien entendu, il existe au niveau mondial – et même en France – des situations où l’on observe des baisses de fertilité ; mais on peut raisonnablement penser que ce n’est pas une généralité. Néanmoins ce concept reste flou, et il n’existe toujours pas de définition satisfaisante de la fertilité d’un sol, ce qui facilite les critiques mettant en cause la gestion des sols par les agriculteurs.

Références
1 | Jordan-Meille L et al., « Intérêt, mise en œuvre, interprétation des analyses de sol », Note interne, Enita de Bordeaux, 2000.
2 | Mäder P et al.,“Soil Fertility and Biodiversity in Organic Farming”, Science, 2002, 296 :1694-7.

Source
D’après Viaux P, « La fertilité des sols agricoles : une notion évolutive au contour mal défini », Fiche encyclopédique n° 01.06.Q03, Académie d’agriculture de France, décembre 2020. Sur academie-agriculture.fr

Publié dans le n° 347 de la revue


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Les auteurs

Laure Mamy

Directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (…)

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Wilfrid Sanchez

Directeur scientifique adjoint de l’Ifremer, en charge de la thématique « contaminants et effets sur le milieu marin ».

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Stéphane Pesce

Directeur de recherche à l’Inrae dans le domaine de l’écotoxicologie microbienne, au sein de l’unité de recherche et (…)

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Sophie Leenhardt

Cheffe de projet à la Direction de l’expertise scientifique collective, de la prospective et des études (DEPE) à (…)

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