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La révolution épigénétique

Publié en ligne le 11 juillet 2019
La révolution épigénétique
Votre mode de vie compte plus que votre hérédité

Valérie Urman

Albin Michel, 2018, 150 pages, 14 €

Dans La révolution épigénétique sont rassemblés les témoignages de cinq personnes, présentées comme des experts du domaine, « pour éclairer cette révolution » (quatrième de couverture), sous forme d’entretiens avec la journaliste Valérie Urman, introduits par de courts Intermèdes signés Patrice van Eersel. L’ouvrage est construit autour de l’opposition supposée entre l’épigénétique et la génétique, la première tenant le « beau rôle ». Ainsi, selon le résumé, l’épigénétique « prend à rebrousse-poil tout le dogme génétique », et permet à l’individu de se libérer de la « dictature » des gènes. Sans oublier le sous-titre, qui s’apparente à un slogan : Votre mode de vie compte plus que votre hérédité, une affirmation tout aussi dogmatique que celle, inverse, qui sous-tendrait la génétique. La richesse du livre pourrait à priori reposer sur la complémentarité des spécialistes sollicités, lesquels doivent « en parler rationnellement et éviter tout emballement excessif » (p. 16). La consigne ne semble guère respectée si l’on en juge par le titre du premier témoignage, celui de Joël de Rosnay : « Vous pouvez devenir le chef d’orchestre de vos gènes ! » (p. 21), qui fait écho à l’opus que ce dernier a publié quelques mois auparavant sur le même sujet (La symphonie du vivant) .

Dans le (trop) rapide survol de la génétique, on peut noter une omission de taille : le fait que ce soient des généticiens qui aient décrit pour la première fois, en termes moléculaires, les mécanismes à l’œuvre dans la régulation de l’expression des gènes en réponse à l’environnement (découverte qui a valu à ses auteurs, François Jacob et Jacques Monod, de partager, avec André Lwoff, le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965). « On a donc découvert pourquoi l’expression des gènes était variable, modulable… » (p. 27) : affirmer que c’est là une découverte attribuable à l’épigénétique n’est donc pas légitime. La description sommaire et simpliste des mécanismes moléculaires à l’œuvre dans l’épigénétique, combinée à une métaphore musicale, permet à Joël de Rosnay d’affirmer : « C’est cela, l’épigénétique : nous sommes les chefs d’orchestre de notre propre corps » (p. 28), tout en flirtant avec une réhabilitation pure et simple du Lamarckisme : « Je juge plus simple… de considérer l’héritabilité des caractères acquis comme probable » (p. 29). « C’est LE point essentiel : chacun peut faire quelque chose pour lui-même, oui ! » (p. 31) : cette conclusion, somme toute recevable, trouverait sa justification dans les découvertes de l’épigénétique, lesquelles permettraient d’expliquer les bienfaits de « cinq facteurs clés » (nutrition, exercice physique, management du stress, plaisir et harmonie sociale). On est là face à un discours de type performatif, où il suffit d’adjoindre le terme épigénétique pour en conférer les propriétés, à l’exemple des régimes basés sur la complémentation entre céréales et légumineuses qui seraient « très efficaces sur le plan épigénétique » (p. 34).

Le même type de critique peut être fait à l’égard des propos tenus par le cardiologue Dean Ornish concernant l’impact de l’épigénétique sur cette « médecine du mode de vie » (p. 60) qui, sans doute à juste titre, fait que certains changements des habitudes de vie peuvent améliorer l’état de santé des personnes atteintes de différentes maladies chroniques. S’il est difficile de critiquer un programme médical basé sur les bienfaits de « manger bien, bouger plus, gérer le stress, aimer plus », on peut rester plus dubitatif dès lors qu’il s’agit de « retrouver notre équilibre enfoui à l’intérieur de nous-même » (p. 55) ou qu’il suffirait « de trois mois pour que le processus commence à agir sur votre espérance de vie ! » (p. 59). Et ce d’autant plus que les références bibliographiques invoquées (Le fabuleux pouvoir de vos gènes de Deepak Chopra et Rudolph Tanzi, ou L’effet télomère d’Elisabeth Blackburn et Elissa Epel) sont sujettes à caution, quand on connaît l’éditeur (Trédaniel) des ouvrages en question, spécialisé « dans l’édition d’ouvrages destinés à un large public dans les domaines de l’ésotérisme, des croyances, de la médecine douce et du développement personnel et d’autres domaines » (Wikipédia).

À propos de l’épigénétique, la généticienne Claudine Junien, la troisième spécialiste interviewée, déclare que « quelque chose d’incroyablement puissant s’avère à l’œuvre… », ajoutant « et nous ne savons encore pas bien comment tout cela fonctionne » (p. 78). Ce dernier constat a le mérite de tempérer l’assurance des premiers contributeurs. Lors de cet entretien, il est question des « origines développementales de la santé » (p. 80), concept selon lequel certaines maladies de l’adulte ont une origine fœtale et auquel l’épigénétique a apporté une crédibilité biologique, puis des différences entre hommes et femmes qui existent sur le plan médical, pour conclure par un plaidoyer en faveur d’une « médecine sexuée » (p. 85). Dans ce dernier cas, il semblerait que l’on glisse un peu dans le hors-sujet, sauf à considérer que les différences homme-femme soient essentiellement de nature épigénétique. C’est un peu ce qui est sous-entendu : il y aurait en moyenne 1,5 % de différences génétiques entre un homme et une femme alors qu’« environ 40 % de gènes vont s’exprimer différentiellement » (p. 87).

Lors du quatrième entretien, le cancérologue David Khayat, qui « approfondit le propos avec une prudence optimiste », évoque le rôle de l’épigénétique dans la compréhension et le traitement des cancers (notamment sous la forme de médicaments d’un nouveau type, les épi-médicaments ou épi-drogues, p. 108). Exalté quand il évoque la « troisième révolution des médicaments anti-cancer » (p. 97), ou réservé quand il avoue que « nous manquons encore de preuves dures » (p. 95), David Khayat parle tantôt en tant que scientifique, tantôt en tant qu’homme (p. 110). L’homme finit malheureusement par prendre le dessus (« je pense », « je suis convaincu », « je suis persuadé ») sur le scientifique dans son plaidoyer à propos de l’importance de l’épigénétique dans la pratique médicale. Où l’on retrouve à quatre reprises (p. 105, p. 109, p. 113, p. 114) les vertus du jus de grenade, place privilégiée partagée avec le curcuma (« j’avale six grammes de curcuma tous les jours ! », p. 112). La simplicité d’aliments miracles face à la complexité des cancers… avec un argument qui laisse songeur : « Une chose non prouvée peut exister quand même » (p. 100). Comment tel ou tel aliment agirait favorablement et spécifiquement sur l’expression des gènes impliqués dans le cancer ? Même si cela est « hautement probable » (p. 109), le lecteur restera sur sa faim.

« On est toujours dans une vision simplifiée ou fausse si l’on considère que c’est plutôt l’environnement ou plutôt les gènes qui décident du résultat » (p. 125). « L’on a pas eu besoin de l’avènement de l’épigénétique pour savoir que l’environnement jouait un rôle clé » (p. 135). Voilà deux phrases qui viennent salutairement pondérer excès et omissions des autres interlocuteurs. Ainsi s’exprime le généticien Pierre-Henry Gouyon, le cinquième spécialiste, qui met également en garde contre l’influence que certaines croyances idéologiques peuvent avoir sur les conclusions scientifiques. Avec, parfois, des assertions que l’on voudrait plus argumentées, comme le fait que l’épigénétique séduirait « beaucoup les gens de gauche, car elle propose une primauté de l’individu sur les gènes » (p. 133).

Ainsi, l’idée sous-jacente de la prééminence de l’épigénétique sur la génétique imprègne l’ouvrage dans son ensemble. Se pose la question de savoir si le mot « révolution » est approprié pour décrire l’essor de l’épigénétique. Une révolution scientifique est un changement brusque de paradigme qui implique une rupture, assez radicale, avec des savoirs antérieurs qui s’en trouvent plus ou moins invalidés. Tel n’est pas le cas de l’épigénétique qui n’est pas, de ce point de vue, « au-dessus » de la génétique et ne relègue absolument pas cette dernière à une science obsolète. Ne prenant pas « à rebrousse-poil tout le dogme génétique », l’épigénétique a surtout permis de comprendre certains phénomènes biologiques qui échappaient à l’analyse génétique classique, et de décrire la variété des mécanismes moléculaires, lesquels sont in fine génétiquement déterminés, à l’œuvre dans le contrôle de l’expression des gènes. Au lieu d’une révolution, on peut seulement parler d’une expansion relativement rapide des études relevant de l’épigénétique, en partie due à un effet de mode à laquelle les scientifiques ne sont pas insensibles. Cette expansion se heurte fatalement à deux types d’écueils : la sur-interprétation de résultats, dont certains sont certes captivants mais encore fragmentaires, et la réinterprétation relativement gratuite de certains faits (l’impact de la nutrition sur la santé physique ou de la méditation sur la santé psychique) sous l’angle d’une causalité de type épigénétique. En d’autres termes, tout est mis à la « sauce » épigénétique, reléguant parfois au second plan la contribution, réelle cette fois, de la génétique. Répétons-le, l’idée que l’environnement, au sens large, ait un impact sur l’activité des gènes n’est pas une nouveauté que l’on doit à l’épigénétique. À de nombreuses occasions, les biologistes ont dû faire la part entre le rôle de la génétique et de l’environnement (l’importance de l’environnement sur les caractéristiques morphologiques des végétaux a été décrite dès le début du XXe siècle par Wilhelm Johannsen, l’inventeur du mot gène). À propos de l’aspect « libératoire » de l’épigénétique (vis-à-vis de la « dictature des gènes »), on peut se demander face à cette vision d’une épigénétique dominant la génétique, où donc se situe cette liberté si le vécu de nos ascendants conditionne notre propre vie et comment la maîtrise supposée de l’expression de nos gènes prendrait effectivement le pas sur les mutations qui peuvent les affecter.


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