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Comprendre sans prévoir, prévoir sans comprendre

Publié en ligne le 10 juin 2019
Comprendre sans prévoir, prévoir sans comprendre

Hubert Krivine
Éditions Cassini, 2018, 134 pages, 12 €

Comment peut-on comprendre un phénomène sans être capable de le prévoir ? L’idée semble a priori contradictoire. Comprendre un phénomène, n’est-ce pas connaître les lois qui le régissent ? Et si les lois sont connues, ne suffit-il pas de les appliquer pour prédire ? La théorie du chaos montre qu’il n’en est rien : il arrive qu’un processus dynamique parfaitement décrit par des lois simples soit totalement imprévisible. Une explication souvent invoquée est la dépendance aux conditions initiales : l’écart le plus minime peut gonfler bien vite pour devenir exorbitant et rendre les prédictions hasardeuses à moyen terme et totalement absurdes à long terme. La météorologie est un exemple souvent cité d’un tel mécanisme : bien qu’on connaisse les lois physiques de l’évolution météorologique, il est en pratique impossible de prédire le temps qu’il fera à plus d’une semaine, parce qu’un écart infime aujourd’hui aboutit à des prévisions sans commune mesure avec la réalité dans quelques jours.

Si l’on peut comprendre sans prévoir, est-il à l’inverse possible de prévoir sans comprendre ? Là encore, la première intuition suggère que c’est impossible. Pour prévoir, n’ai-je pas besoin de saisir l’essence d’un processus ? D’en connaître au moins les principes ? Ici, ce n’est pas la théorie du chaos qui pourrait contredire cette intuition. En revanche, explique H. Krivine dans son dernier ouvrage, les big data constituent bien un contre-exemple, prouvant qu’il est tout à fait possible de prédire sans véritablement comprendre. Lorsque les masses de données sont suffisamment imposantes, la moulinette statistique permet en effet de faire émerger des équations terriblement efficaces mais qui ne font pas sens. Celles-ci permettent alors de pré

dire des événements futurs, mais sans éclairer véritablement le phénomène. On pourra ainsi prédire certains comportements d’achat chez les internautes en se fondant sur des milliards de parcours précédents, sans que cela aboutisse à nous faire comprendre ce qui les pousse véritablement à dépenser leur argent.

H. Krivine nous offre au fil de son essai une forme de balade intellectuelle accessible et intelligente autour de cette distinction entre comprendre et prédire. Sciences humaines, épistémologie, mathématiques et physique sont convoquées tour à tour dans cette stimulante excursion où l’on se laisse volontiers entraîner. Les exemples sont nombreux, le style toujours clair. On en ressort avec une multitude d’idées et surtout beaucoup de nouvelles questions à étudier !


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